Le wokisme qui vient de l’argot afro-américain « éveillé » (woke) s’est originellement installé sur les campus nord-américains vers la fin des années 2010. Il a rapidement atteint les mondes de la culture, de la politique et même de l’entreprise. Il a ensuite traversé l’Atlantique pour investir nombre de pays européens. « Son succès tient pour une grande part au fait qu’il défend des causes associées, à juste titre, au progrès et à la justice, mais – et c’est là qu’il pose problème – en en faisant des grilles systématiques voire uniques de perception du monde, en les introduisant dans des arènes où elles n’ont pas leur place et en usant de moyens qui en arrivent à les dénaturer. D’où la nécessité de prendre ce nouveau totalitarisme dont on ne peut prononcer le nom au sérieux », explique Nathalie Heinich. Dans son ouvrage, la sociologue parle d’un « totalitarisme d’atmosphère » en utilisant une formule accolée au djihadisme de Gilles Kepel, le politologue spécialiste de l'islam et du monde arabe contemporain. Le mot est-il trop fort ? Le mouvement n'a certes pas le statut d'un pouvoir d'État. Il n'empêche qu'avant la constitution d'un régime politique, doté de pouvoirs d'État, il existe des mentalités, des tendances, des états d'esprit qui en facilitent l'avènement.

Un terme réducteur et lissant

Un lien fondamental s’établit avec l’identitarisme. Cette notion traite chaque individu en fonction d’une communauté d’appartenance qui serait en même temps une communauté victimaire, celle des femmes, des Noirs ou des peuples autochtones, par exemple. « C’est cette tendance à interpréter l’ensemble du monde social à la lumière d’une conception communautarisée du monde et d’une division binaire un peu primaire — entre dominants et dominés, victimes et coupables — qui constitue le wokisme », précise la sociologue. « On nous reproche parfois de mettre tout et n’importe quoi sous ce terme, mais c’est parce que tout et n’importe quoi est utilisé par les promoteurs de ce courant. » Le terme en devient réducteur, lissant, cancérisant et appuie une forme de déréalisation du monde.

L’universalisme, la meilleure arme

Et Nathalie Heinich de poursuivre : « Je veux aussi casser cette identification de l’antiwokisme à la droite en montrant que même si le wokisme défend des causes parfaitement légitimes d’un point de vue progressiste, contre les injustices et les discriminations, il le fait de façon telle qu’on ne peut pas le suivre sans régresser et trahir les valeurs de la gauche. » Elle insiste : « ce qu’on donne à lire dans les cours universitaires ou à montrer dans les musées doit être exclusivement basé sur la valeur et non pas sur l’identité des personnes ». 

Sous la férule de ces déconstructionnistes, l'individu se voit constamment ramené et réduit à une partie de son identité (origine ethnique, genre, orientation sexuelle, religion, etc.). Cette idéologie ne peut par conséquent que produire de l'individualisme et du particularisme. Chez les Wokes, chaque minorité ne raisonne plus qu'en termes de « créances identitaires » au détriment des notions d'intérêt général.

En ce sens, « le wokisme est une régression civilisationnelle qui écrase les valeurs de liberté, de justice et de rationalité. Pourquoi, dans ces conditions, se priver d’opposer au wokisme la résistance que nous devons tant aux principes scientifiques qu’aux valeurs universalistes ? », affirme la sociologue. Avec la colonisation « woke », les idéologies victimaires et revanchardes veulent faire passer l’universalisme pour un gros mot, utilisé par des gens peu fréquentables. Et pourtant, face à un mécanisme de déconstruction massive, l’universalisme est la meilleure des armes.