Drieu Godefridi : Vous êtes CEO de Imageplus, l’une des rares entreprises belges réellement spécialisées en intelligence artificielle et big data. L'intelligence artificielle (AI) est sur toutes les lèvres. Pourriez-vous nous expliquer comment cela fonctionne? Comme un Chat.openai, par exemple, est-il programmé ?

Philippe Kaivers : En réalité, l'intelligence artificielle (IA) n'est rien de révolutionnaire en soi, elle s'apparente à une forme surpuissante de statistiques, dans laquelle des algorithmes informatiques passent au crible des quantités massives de données, identifient des modèles et font des prédictions ou prennent des décisions sur la base de ces modèles. Tout comme vous pourriez prédire un résultat en vous basant sur les tendances d'un graphique en mathématiques, l'IA utilise des modèles mathématiques complexes pour faire des prédictions similaires, mais à une échelle beaucoup plus grande et plus complexe. En définitive, nous parlons essentiellement de pourcentages statistiques, la seule différence étant que la quantité d'informations que nous pouvons aujourd'hui traiter et gérer est phénoménale.

D.G : Quid de ChatGPT ?

P.K : En ce qui concerne ChatGPT, c'est juste une version plus aboutie, il faut le voir comme un perroquet super intelligent à qui on a appris à imiter une conversation humaine en lisant des tonnes de textes sur Internet, en prédisant le mot qui suit dans une phrase et en utilisant ces connaissances pour discuter avec vous. Il s'agit en quelque sorte d'un prédicteur de mots de haute technologie qui utilise un système appelé Generative Pretrained Transformer (GPT) pour apprendre à partir de tonnes de textes sur l'internet et deviner ce qui devrait suivre dans une conversation. Bien qu'il puisse créer des réponses impressionnantes, il est important de savoir qu'il ne comprend pas vraiment la conversation, il est juste excellent pour imiter les modèles de langage humain basés sur son entraînement.

D.G : L’IA représente-t-elle une menace ou une opportunité pour les citoyens ?

P.K : L'IA est un nouvel outil : c'est à la fois une opportunité et une menace potentielle. Comme le sont toutes les inventions technologiques: que ce soit la maîtrise du feu, l'invention de la roue, de l'agriculture, de l'imprimerie ou Internet; elles ont toutes contribué à des changements civilisationnels. D'une part, l'IA peut créer des opportunités passionnantes telles que l'apprentissage personnalisé, l'amélioration des soins de santé grâce à la prédiction et au diagnostic des maladies, etc. L'automatisation via AI et la robotique pourra nous aider dans les tâches quotidiennes ou dans des situations complexes telles que l'exploration spatiale ou l'intervention en cas de catastrophe. D'un autre côté, si elles ne sont pas utilisées de manière responsable, l'IA et la robotique peuvent entraîner des problèmes allant de protection de la vie privée à la survie de l'espèce humaine si les robots ne sont pas correctement contrôlés. 

D.G : L’AI est-elle une menace ou une opportunité pour les PME belges ?

P.K : Sur le plus long terme, les gains de productivité liés à l'automatisation pourraient réduire considérablement les coûts et potentiellement conduire à la déflation, rendant les biens et les services plus abordables pour tous. Dans ce scénario, le travail pourrait devenir moins une nécessité et plus un choix pour ceux qui sont passionnés et enthousiastes dans ce qu'ils font. Toutefois, c'est la période de transition entre aujourd'hui et cet avenir potentiel qui me préoccupe le plus. Le changement, en particulier à l'échelle de ce que l'IA et la robotique pourraient apporter, est un réel défi. Les PME, en particulier en Belgique et dans des économies similaires, devront s'adapter à ces nouvelles technologies et repenser leurs modèles d'entreprise, leur main-d'œuvre et même leur raison d'être. À court terme, cela pourrait entraîner des déplacements d'emplois, des faillites, mais également des success stories.

D.G : Un exemple concret d'opportunité ?

P.K : Il y en a autant que d'idées, il y aura des opportunités dans tous les métiers qui n'évoluent pas assez vite (les rentes de situation). Disons que je ne me lancerais pas aujourd’hui dans des études de notariat ou de traduction (rires).

D.G : Quelle serait, selon vous, la façon intelligente de réguler l’IA ? Y a-t-il urgence à réguler, comme le soutient Elon Musk ?
P.K : Toute la question de la régulation est toujours la même, avancée technologique ou pause éthique, selon moi, l'Europe ferait mieux d'investir dans les sociétés européennes afin de ne pas être le loser de la planète. Car, c'est bien beau de réguler, mais pendant ce temps Américains et Chinois continuent leurs avancées en la matière et nous payerons à prix d'or les licences de leurs sociétés que nous briderons par nos régulations.

 

Propos recueillis par Drieu Godefridi, essayiste politique