Inspirée par les techniques employées par Stinton Hunter (NDLR : le célèbre justicier britannique connu pour son rôle dans le documentaire The Pedophile Hunter), la Team Moore suit un protocole d’action strict. « Ce sont nos photos rajeunies pour pas qu’il y ait d’usurpation d’identité, on rappelle qu’on est mineur et il n’y a aucune demande faite de notre part. On ne pousse pas à l’infraction ». En veillant à ne tenir aucun propos incitatif qui les ferait tomber sous le coup de la loi, ces activistes conversent en ligne avec les pédophiles présumés qui les contactent, jusqu'à ce qu'un rendez-vous soit proposé à la fausse petite fille dont ils ont créé le profil. Et ils s'y rendent alors... pour confronter leur interlocuteur à ses messages et à ses photos, souvent très crus. 

Un pédophile piégé par Alicia, 12 ans

Le premier pédo-criminel a été coincé en mai 2019 par l’instigateur du mouvement, Steven Moore, un père de famille qui travaille le jour dans un commerce de Saint-Denis de la Réunion et qui la nuit se transforme en « chasseur » de pédophiles. Animateur d’un blog et de plusieurs pages Facebook sur le sujet, l’homme âgé de 42 ans est passé à l’action en mars 2019 sollicité par une mère de famille inquiète. Un homme avait envoyé plusieurs messages libidineux à sa fille. « C’est ainsi qu’est née le profil Facebook d’Alicia de Luca, une jeune fille de 12 ans, passionnée d’équitation, un peu mal dans sa peau », nous précise Jager. « Ce faux profil de jeune fille, servant d’appât rencontre rapidement un énorme succès. C’est comme à la pêche, il suffit de poser sa ligne et d’attendre. En quelques jours, des dizaines de prédateurs sexuels ont mordu à l’hameçon ». C’est ainsi qu’un pédophile de 85 ans, surnommé « l’homme au short orange », sera confronté par le collectif le dimanche 19 mai, devant une pharmacie de Tampon, sur l’île de la Réunion, alors qu’il descendait d’une voiture blanche stationnée. Interpellé dans la foulée, il sera condamné en juillet 2020.

Copyright : Le pédophile présumé du Tampon - copyright Team Moore

Un réseau de Canadiens démantelé

Au mois de juin 2019, c’est au Québec cette fois que la Team Moore, apporte aux enquêteurs des renseignements sur un homme, Pierre-Luc Bélanger (29 ans), possesseur et producteur de pornographie juvénile. « On suivait ce prédateur depuis plus de trois mois. Il nous a contactés via un nouveau faux profil de petite fille créé par notre équipe. Et malgré le fait qu'on lui a bien précisé d’emblée que l'on n'avait que 11 ans, que l'on n'avait jamais fait de ‘choses sexuelles’, il insistait lourdement », nous raconte Jager. Le Robervalois sera arrêté par la Sûreté de l’Etat canadien à son domicile. Il aurait non seulement détenu du matériel de pornographie juvénile, mais aussi produit et échangé avec d’autres individus. « Nous sommes extrêmement satisfaits », nous précise Jager. « Six primo délinquants ont libéré sous conditions, mais deux multirécidivistes sont en attente de leur procès ».

Des captures d’écran sexuellement explicites

Le 12 juillet 2019, c’est à Reims que la Team Moore réalise une nouvelle opération coup de poing. Dans leur ligne de mire, non pas un mais quatre pédophiles présumés qui, eux aussi, ont à l’identique pris contact avec de faux profils de petites filles sur Facebook gérées en réalité par le collectif. Dans leurs conversations capturées, ils souhaitaient organiser des partouzes avec les fillettes. Les personnes concernées travaillent toutes dans une entreprise de jardinage de la région. « Pour ferrer les poissons face caméra, je me suis présentée avec Neila, vers midi, devant les bâtiments de l’entreprise accompagnées par une équipe de la télévision française. Lorsqu’ils sont sortis, nous nous sommes avancées et nous leur avons présenté les captures d’écrans que nous avions imprimées. Ils étaient pour le moins surpris ! », nous raconte Jager. Face aux preuves exhibées, les individus ont fermement nié et prétendus que leurs comptes Facebook avaient été piratés. L’affaire est entre les mains de la Justice.

Déguisée en petite fille

Le 17 septembre 2019, c’est à Bordeaux que le collectif piège un nouveau prédateur. Michaël (29 ans) avait pris contact le 4 août avec le faux profil d’une fillette de 12 ans gérée par Mia l’une des membres de la Team. Quelques jours plus tard, il adressait déjà des messages sexuellement explicites. Durant les six semaines de discussion, l'homme va enchaîner les propositions indécentes, ainsi que l’envoi de photos de lui dans des positions obscènes. La Team Moore décide donc de passer à l’action et lui propose une rencontre. « Neila Moore, un autre membre de l’équipe au physique pré-pubère s’est alors déguisée en petite fille et la manœuvre a fonctionné. Lorsqu’il est arrivé au rendez-vous, Michaël l'a abordée, avant de se rendre compte que nous l’avions piégé, encore une fois, sous l’œil de caméras de télévision ». Les preuves collectées par le Team Moore ont été transmises au procureur de la République française.

Une augmentation de 6000%

Quatre ans après le début de ses actions, le collectif a remis plus de 135 dossiers à la justice, qui ont abouti à 85 arrestations, plus de 50 condamnations à travers le monde, ainsi que des dizaines de procès en attente et d’enquêtes ouvertes. Et le travail est loin d’être terminé. C’est une croissance particulièrement préoccupante. Dans l’Union européenne, les signalements de contenus pédopornographiques, c’est-à-dire de consultation ou de détention d’images d’abus sexuels sur des enfants, souvent accompagnés de viols, ont augmenté de 6000 % en dix ans.

Selon la commissaire européenne aux Affaires intérieures, Ylva Johansson, le système actuel de détection et de signalement des contenus pédopornographiques, uniquement basé sur la bonne volonté des plateformes, « s’est révélé insuffisant pour protéger correctement les enfants ». Elle plaide donc pour les rendre obligatoires. En 2021, sur 85 millions de vidéos et photos impliquant des abus sexuels sur mineurs signalées dans le monde, 60% de ces contenus étaient hébergés sur des serveurs situés dans l’UE.

Une collaboration avec les autorités

La Team Moore croule ainsi aujourd’hui sous les candidatures d’internautes qui veulent s’engager dans son combat. Depuis Candy, Shurikn ou encore Izzy les ont rejoints ces dernières années. Et à ceux qui estiment que les pratiques du groupe sont aux confins de la légalité, ses membres de préciser : « tous les jours, nous recevons des messages de parents en détresse. Nous récoltons simplement les comportements inappropriés, nous cherchons des preuves et nous signalons les faits à la justice. Nous estimons agir de bonne foi face au manque de moyens de la police dans la lutte contre la pédo-criminalité. Seulement 1% des abuseurs d'enfants se retrouvent derrière les barreaux. Nous voulons changer ce chiffre et nous y arriverons ! ».

En France, plusieurs procureurs comme Emmanuel Dupic ou encore Eric Mathais ont soutenu dans la presse que le travail de La Team Moore était un commencement de preuve et que quel qu'en soit le support, les faits de pédocriminalité doivent être connus de la justice. La Député Maud Petit a applaudi l'initiative de ces citoyens et a même abordé le sujet sous forme de question à l'Assemblée Nationale en juin 2021 face à Eric Dupond-Moretti, le garde des sceaux, qui s'est dit « chagriné » d'une telle démarche. Depuis deux ans, le collectif travail avec la brigade de gendarmerie de Saint Paul. « Sans leur soutien et leur aide certains de nos dossiers iraient aux oubliettes. »

En Janvier 2023 Neila Moore publie « Les Prédateurs sont dans la poche de vos enfants » aux éditions Télémaque. « La population doit prendre conscience que le fléau de la pédocriminalité peut toucher tout le monde. » Depuis, Neila Moore a été reçu par Jean Noël Barrot, le Ministre du numérique, pour échanger sur une future coopération officielle entre les autorités française et la Team Moore.