En Belgique, en 1990, les émissions étaient estimées à 116 Mt CO₂ et en 1998 à 127 Mt CO₂ (les émissions de CO₂ représentaient 84 % des émissions de tous les gaz à effet de serre). De ces 127 Mt de CO₂, 30 venaient de la production d’électricité. Selon le protocole de Kyoto, en 1998, les émissions belges de CO₂ ne pouvaient pas dépasser 111 Mt CO₂. Les émissions de 1998 représentaient donc encore 16 Mt CO₂ au-dessus de l’objectif de Kyoto. 

Quel scénario pour réduire ces émissions ? 

Ainsi le remplacement total des centrales thermiques (produisant 35,6 TWh d’électricité en 1998) par des centrales nucléaires conduirait à des émissions 14,1 Mt CO₂ en dessous de l’objectif de Kyoto. Par contre, le remplacement des centrales nucléaires par des centrales thermiques conduirait à des émissions de 54,7 Mt CO₂ au-dessus de l’objectif de Kyoto. C’est à cette époque que la loi sur la sortie du nucléaire a été votée sous le gouvernement de Verhofstadt. Cette loi de 2003 stipulait que les 7 réacteurs nucléaires de notre pays devaient être fermés après 40 ans d’exploitation. On comprendra dès lors pourquoi j’ai envoyé immédiatement une lettre ouverte au Premier Ministre intitulée « L’Électricité nucléaire au service du Développement durable et au secours de la Société ». Cette lettre fut publiée in extenso dans la Libre Belgique le 16 janvier 2003. J’y déclarais : « Sortir du nucléaire en ce début du 21e siècle est non seulement un anachronisme, mais est et restera, pour longtemps encore, la plus grande erreur jamais commise par un gouvernement en Belgique ». Il n’était nullement question dans cette lettre de prétendre résoudre le problème mondial du CO₂ par le seul nucléaire, mais bien d’analyser comment la Belgique pourrait en sortir dignement. 

Malheureusement 20 ans plus tard, mon affirmation reste plus que jamais d’actualité : nos 7 réacteurs, bien qu’en pleine santé vont disparaitre suite à un compromis purement politique sans fondement scientifique objectif, et pour des raisons purement dogmatiques insufflées par le parti écolo. Ce dernier a réussi à endoctriner une partie de la population, y compris les politiques des autres partis. On peut comprendre les écolos dont l’origine du parti est basée sur le slogan antinucléaire. On ne peut toutefois pas admettre l’attitude des autres partis et leurs représentants, surtout ceux qui ont une formation scientifique universitaire qui devrait leur permettre de comprendre aisément le travail des experts de l’énergie.

On a pourtant alerté et répété…

Les arguments climatiques, économiques, environnementaux et sociaux développés dans ma lettre de 2003 au Premier ministre sont toujours valables. Ils furent à la base des multiples notes que j’ai rédigées et lettres que j’ai envoyées aux divers ministres et ce, avec d’autres spécialistes de l’énergie qui ont uni leurs efforts au cours des dernières décennies (Ernest Mund, Pierre Kunch, Samuele Furfari, Jacques Marlot, Christiane Leclercq-Willain et Georges Van Goethem). Ce furent des communications dans divers symposia et autres colloques ou des conférences grand public et interviews à la radio et télévision. Les thèmes allaient du climat du XXIe siècle, à l’électricité nucléaire et aux émissions de CO₂.

En août 2021  Mund, Kunsch, Berger et Marlot ont interpellé le Premier ministre De Croo. Ils dénoncent « l’impassibilité » des responsables politiques face aux avertissements des scientifiques. Ils estiment que remplacer le nucléaire, une énergie décarbonée, par des énergies renouvelables, certes décarbonées, mais intermittentes est une « ineptie ». C’est aussi un leurre, l’intermittence de ces énergies renouvelables conduisant inexorablement à une augmentation des émissions de CO₂, la sécurité d’approvisionnement en électricité requérant l’utilisation de centrales au gaz en parallèle.

André Berger, Louvain-La- Neuve, le 29 janvier 2023

Professeur et climatologue belge reconnu comme un pionnier de l'étude multidisciplinaire de la dynamique et de l'histoire du climat.