Au début du siècle dernier, Rudolf Steiner (1861-1925), occultiste et anti-scientifique, fonde le courant de pensée « Anthroposophie ». Il inspirera un certain nombre de domaines de la vie tels que l'art, la société ou l'agriculture, en partant de « la liberté de l'homme et du développement de son âme et de son esprit ».L’agriculture qu’on nomme « biodynamique » prend sa source dans les écrits de Rudolf Steiner. Ses règles ont été établies à partir d’une série de huit conférences, données par Steiner entre le 7 et le 16 juin 1924 devant un public d’agriculteurs, et retranscrites dans un livre connu sous le nom de Cours aux agriculteurs. Le livre en question n’a connu pendant de nombreuses années qu’un usage très confidentiel, circulant dans les seuls milieux anthroposophiques sous forme de copies privées et numérotées porteuses de la mention « pour usage personnel seulement ». Il faudra attendre jusqu’en 1963 pour que lesdites conférences fassent l’objet d’une publication. L’agriculture biodynamique prenant racine dans les conceptions exprimées par Steiner, elle est inséparable de la cosmologie. Et c’est là où cela coince. Ces théories ne reposent sur aucune réalité scientifique.

Une dérive certaine

Grégoire Perra est lanceur d'alerte, ex-anthroposophe et ex-professeur en école Steiner-Waldorf. Il est l'un des principaux critiques de l'anthroposophie en France, militant pour une reconnaissance de la « dérive sectaire » du mouvement et de l'endoctrinement qui serait dissimulé via les écoles Steiner. « (…) Lorsque j’étais élève dans une école Steiner-Waldorf, dans les années 1980, on nous emmenait dans les champs (…) pour y réaliser des travaux de défrichage et de désherbage. Le maître des lieux profitait de l’occasion pour nous donner des conférences sur les bienfaits de la biodynamie. J’ai ainsi appris que, sans la biodynamie, le monde deviendrait un désert, mais que, grâce à la biodynamie, la planète pourrait être sauvée. Apprendre cela à l’âge de quinze ans, cela vous marque ! (…) Et on ne se contentait pas de nous apprendre les pratiques agricoles steinériennes. On nous délivrait un enseignement entièrement fondé sur les considérations cosmologiques de Steiner, qui se transmettent d’un adepte à l’autre comme un précieux héritage. Les jeunes élèves, dont je faisais partie, baignaient dans le liquide amniotique de cet univers où, petit à petit, on nous formait à la compréhension des idées ésotériques de Steiner. Ainsi donc, l’agriculture ne constituait qu’un vecteur pour nous amener à̀ adopter un modèle de vie conforme aux idéaux de Steiner », explique-t-il par voie de presse.

Pour Steiner, la science et la technique sont l'œuvre de forces maléfiques. C’est la raison pour laquelle, en agriculture biodynamique, on évite notamment l’usage de tracteurs et la chimie de synthèse, préférant s’en remettre aux forces des astres et des planètes. Pour Grégoire Perra, « La stratégie des anthroposophes consiste à ne rien révéler de leurs conceptions cosmologiques ni de leurs finalités. Ils séduisent par leur discours à l’enrobage pseudo-scientifique, qui est perçu aujourd’hui comme alternatif plutôt que mystique et ésotérique ».

Or, « Il n’y a pas de biodynamie sans la doctrine anthroposophique qui la porte et la structure. La vraie dénomination devrait être ‘agriculture anthroposophique’ plutôt que ‘biodynamie’, mais l’impact auprès du grand public ne serait pas le même. Ce terme permet d’invisibiliser et de contourner, voire de lisser, le lien structurel avec l’anthroposophie et sa réputation sulfureuse », résume Valéry Rasplus, sociologue, animateur du carnet de recherche AgriGenre.

Et le principe ne passe pas le test

Ce caviste le jure : « une fois qu’on a goûté aux vins biodynamiques, impossible de faire marche arrière. Là où un vin traditionnel se vend et se consomme à n’importe quelle période de l’année, les bouteilles biodynamiques se dégustent différemment selon les jours du calendrier lunaire, “jours-fruits”, “jours-racines” ou “jours-fleurs” ».

En 2017, des chercheurs néozélandais ont recruté 19 professionnels du vin pour déguster, à l’aveugle, 12 vins issus du cépage Pinot Noir et produits selon différentes approches agricoles : conventionnelle, biologique et biodynamique, mais tous fermés avec des capsules à vis pour éviter des variations dues au liège. Chaque participant a donc dégusté et commenté les mêmes vins 4 fois, 2 fois dans un jour supposé favorable (Jour Fruit) et 2 fois dans un jour supposé défavorable (Jour Racine). Les organisateurs ont fourni une liste de 20 descripteurs, choisis pour couvrir les champs des arômes, des saveurs et des textures aussi bien sur les plans quantitatifs que qualitatifs, en prenant en compte structure, qualité perçue et préférence personnelle. Bien entendu, le but de l’expérience n’était pas connu par les dégustateurs. 

Les résultats ont démontré que, bien que les vins aient été jugés d’une manière un peu différente à chaque occasion, ces différences ne correspondaient pas du tout aux présupposés établis par le calendrier biodynamique. Les vins avaient chacun leurs qualités et leurs défauts, comme toujours dans des séries, mais le jour de la dégustation n’exerçait aucune influence sur ces impressions.

Mais il est peu probable, que cela fasse abandonner le calendrier biodynamique par ses adeptes. Quand nous modifions nos croyances, c’est rarement sur la base des faits qui les contredisent. Signalons tout de même que la Miviludes, la Mission interministérielle française de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, estime à plusieurs milliers, le nombre d'adeptes de l'anthroposophie en France. En 2021, elle la classait dans les dérives sectaires : « Ce qu'on vous dit sur la biodynamie : une méthode agricole biologique et saine. Ce qu'est la biodynamie : une méthode d'agriculture et de viticulture ésotérique controversée dans le milieu scientifique et liée à l'anthroposophie ».