Au cœur d’un « état d’urgence » sanitaire, nous devons « combattre » la maladie par le « confinement ». Le coronavirus est un « ennemi », les soignants sont en « première ligne » et le pays est « mobilisé ». Avec la pire des impensées linguistiques, le « couvre-feu », la métaphore guerrière, était en 2020 construite autour du même comparant martial. Les discours politiques ont, depuis été innervés par ce vocabulaire de « la lutte » de manière, semble-t-il pérène.

La déshérence du mot « guerre »

« Explosion des prix  » (Vs inflation), « bouclier tarifaire » (Vs guerre en Ukraine), le politique pioche aujourd’hui à outrance dans le vocabulaire militaire pour évoquer la situation économique du pays, distillant de facto le sentiment d’être dans un champ de mine où les obus enterrés - par le politique lui-même le plus souvent - n’ont de cesse de nous exploser au visage.

Rassurons-nous cependant sur la suite des « opérations ». Le gouvernement entend nous « protéger » et mène une « contre-attaque » (sic !). C’est donc sans surprise, qu’en octobre 2022, le premier ministre Alexander De Croo présente, dans la Déclaration du gouvernement, les grandes lignes de la politique que la Vilvaldi entend mener en 2023 en ces termes : en ce qui concerne les aides aux entreprises et aux ménages face à cette « guerre énergétique », en particulier la hausse des factures de gaz et de l’électricité, pour « amortir le choc », il entend sortir son « bazooka énergie » !

Mais, le terme actuellement préféré de nos dirigeants est sans nul doute celui de « réforme » qui fait écho aux mitraillettes et treillis que certains individus cherchaient à fuir autrefois,  lorsque le service militaire existait encore, les fameux « réformés » car reconnus « inaptes au service » en raison d’une santé défaillante, d’infirmités ou de blessures. Encore une métaphore du politique en place pour pointer l’incompétence de ses prédécesseurs politiques sans la nommer (re sic !)

La piètre parade de l’ennemi

Catherine Hass est docteur en anthropologie politique. Dans « Aujourd’hui, la guerre », elle consacre une réflexion quant aux enjeux de cette formule. L’interrogation que l’auteure conduit à l’endroit des écarts actuels entre le mot « guerre » et la situation de référence qu’autrefois il désignait – absent lorsqu’il devrait être d’usage ou, à l’inverse, martelé là où rien, dans la réalité présente, ne renvoie à une guerre effective –, lui permet notamment de penser que l’État en sa forme contemporaine est séparé de sa population. 

Le recours à une rhétorique militaire par les gouvernants a pour but, dans ce contexte, de (re)construire dans le discours politique la légitimité et l’autorité nécessaires pour obtenir l’obéissance et la reconnaissance et édicter des mesures. D’où la parade simpliste de l’ennemi pour tenter de fédérer à nouveau.

L’opinion publique, garde-fou

La réactivation de symboles héroïques n’est pas très originale, mais force est de constater que la technique impacte. Qu’il s’agisse de santé, d’économie, d’énergie, la mobilisation du paradigme guerrier cherche toujours à appuyer de nouveaux enjeux politiques chez nos décideurs, des plus idéalistes aux moins réalistes. Or, un vocabulaire guerrier systématisé à mauvais escient est signe de faiblesse, puisque précisément nous sommes en paix. Les mésusages contemporains de la notion de guerre sont aussi une insulte aux pays véritablement en guerre.

L’usage abusif est, en outre, dangereux, car à la guerre, les ennemis, on les tue. Lisez, tout qui ne pense pas dans la ligne du « prêt à penser ». C’est oublier, fort heureusement, la fameuse « bataille » de l’opinion publique qui se joue dans la relation entre gouvernants et gouvernés. Et l’opinion publique a toujours compté dans l’histoire politique …