De complice en aveu à lanceur d’alerte

Dans la foulée du scandale, Mark MacGann annonce être LE « lanceur d’alerte ». Le responsable du lobbying d’Uber pour l’Europe de l’Ouest, l’Afrique et le Moyen-Orient de 2014 à 2016, est l’homme qui a transmis au quotidien britanniqueles 124.000 messages et documents internes qui constituent The Uber Files et qui montrent comment le géant américain a bafoué les lois et trompé ses chauffeurs sur son modèle d’entreprise. Dans une interview exclusive, il annonce : « Nous avons vendu un mensonge aux gens ».

A la lumière de cet aveu, il est tout d’abord légitime de se demander pourquoi l’homme passe, d’un coup d’éclairage médiatique, du statut de complice en aveu à celui de dénonciateur de liaisons dangereuses tissées avec le pouvoir politique et l’élite « intellectuelle ». Ce n’est certes pas la philosophie voulue par le législateur dans l’esprit de la loi protégeant les lanceurs d’alerte. Dans cette hypothèse, tous les mafieux repentis pourraient se rebaptiser « lanceurs » et « alerter ». Un lanceur d’alerte dénonce des exactions, mais n’y participe pas. 

Nous ne sommes donc pas loin de penser que l’homme qui a servi les intérêts d’Uber pendant des années a cherché avant tout une « protection » en révélant aujourd’hui son identité. Mark MacGann a, en effet, longtemps été le visage public de la compagnie décriée. Une position l’ayant érigé au rang de cible des campagnes anti-Uber menée par l’industrie des taxis traditionnels, à tel point qu’Uber avait dû lui assurer des gardes du corps dans ses déplacements. Une mise au pilori qui le poussera aussi vers sa sortie de l’entreprise, sans fleurs, mais avec couronnes … pour son management du pire. Sic !

Copyright : Uber Files – ICIJ

Le management des « bonnes relations »

Surfant sur la vague de cette actualité, la récupération politique, toujours en bon ordre de marche, ne s’est pas fait attendre en s’emparant du débat pour établir, selon les couleurs, qui est plus blanc que blanc et qui a lavé sale. De gauche, comme de droite, en Belgique comme ailleurs, nos élus ont réclamé, à corps et à cris, la mise sur pied de la fameuse commission d'enquête afin d’établir les interférences et les responsabilités politiques dans les pratiques de la multinationale. Mais, est-il seulement question ici de responsabilités politiques ?

« Nous évoluons dans un monde du travail où les maîtres mots sont compétences, dépassement de soi, exigence, performance et réussite. Notre vision de la vie professionnelle est construite sur une hypothèse forte : on progresse professionnellement quand on est bon, compétent, formé, en pleine adéquation avec son emploi. Nous visons donc l’excellence d’abord dans nos études, puis dans notre vie professionnelle », explique Isabelle Barth.

The Uber Files nous font la démonstration de son contraire. Des dirigeants, des cadres, des managers sont, de l’avis général, incompétents. Les hard comme les soft skills ne sont pas pris en compte au profit des « bonnes relations ». Et pourtant, l’entreprise récompense ces travailleurs pour leur manque de vertus. 

La valeur de l’incompétence

« Si très peu d’organisations échappent au phénomène de cette promotion par l’incompétence, une autre interrogation arrive vite : comment restent-ils en poste alors que leurs décisions, leurs comportements, leur management mettent potentiellement en danger l’organisation ? », poursuit Isabelle Barth.

La réponse est simple : « quand vous récompensez un bon, en le promouvant ou en élargissant ses responsabilités, ou en le payant mieux, il estime que c’est une juste reconnaissance de ses talents et ne sera nullement enclin à la reconnaissance ou à la loyauté. Alors qu’en récompensant un mauvais, on crée une dette, qui garantit un ascendant sur le long terme à celui qui a fait ce choix ».

Dans l’arborescence entrepreneuriale, on crée ainsi un sentiment de redevabilité dans le chef de celui qui a été promu vis-à-vis de celui qui a un ascendant sur lui et qui commande d’agir en bon petit soldat. C'est le principe des services rendus et des services à rendre qui invite aussi au silence. Par implications véreuses, on ne plus rien faire sans ce système qui ne demande pas d'être bon, mais d'être loyal, sous menace de chute. Une stratégie de management agressive utilisée par de nombreux grands groupes pour s’assurer de devenir leader sur leur segment de marché. 

L’excellence est remplacée par un « management des crétins » ainsi étiqueté par la chercheuse. Cela ne vous dit rien ? C'est pourtant d'actualité dans de nombreuses sphères autres que Uber. Epinglons les Big Pharma, pour ne citer qu’eux.

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