Dans cette perspective la question de l’unité et la cohésion des forces de résistance est un élément clé de la réussite du mouvement. Pour qu'un changement de régime puisse se produire, il faut non seulement le rejet du pouvoir en place, mais aussi qu'une alternative politique crédible pour donner un débouché à la lutte de libération. Le sentiment national qui anime fortement les opposants au régime constitue l'élément fédérateur qui peut permettre aux multiples groupes politiques d'opposition de s’unir. L'aspiration à faire vivre un nouvel Iran, moderne, démocratique et laïque permet la constitution d'une alliance politique solide pour abattre la théocratie. 

Or, il est regrettable de constater que certaines initiatives qui prétendent représenter l’alternative, participent à créer plus de division que d’unité au sein du mouvement d’opposition. Parmi elles, une alliance officieuse autour du fils du chah, Reza Pahlavi a été annoncé le 10 février 2023 à Washington, par quelques opposants en exils. Toute initiative visant à réunir les opposants autour d’un programme commun, à la fois pour le renversement du régime et ce qui le remplacera, est une initiative heureuse qui est accueilli avec enthousiasme par le peuple iranien. Mais pour faire consensus celle-ci doit être tournée vers l’avenir. Dans ce cas, l’inclusion du fils de l’ancien dictateur est perçue pour de nombreux iraniens comme un retour en arrière et un renoncement aux valeurs émancipatrices de la révolution populaire de 1979 qui a balayé le despotisme monarchique millénaire de la terre de perse.

La grande majorité d’Iranien continuent de penser que les crimes de Khomeiny et Khamenei ne saurait faire oublier ceux du chah. Par ailleurs, au cours de l’histoire aucun peuple s’étant débarrassé du système monarchique n’a jamais accepté de revenir en arrière de son propre chef. Cela est perçu comme une insulte à l’intelligence des Iraniens. Dans les systèmes autoritaires comme l’Iran, la monarchie est par essence antidémocratique et ne saurait être comparé aux monarchies constitutionnelles à l’occidentale. La genèse de la dynastie Pahlavi est révélateur à cet égard : le grand-père a pris le pouvoir par un coup d'État initié par les Britanniques en 1925 et le père a été rétabli au pouvoir par un autre coup d'État initié par la CIA en 1953.

Pour autant, Reza Pahlavi a le droit de participer au jeu démocratique comme tout citoyen iranien ordinaire. Mais il doit pour cela remplir quatre conditions : 1- Renoncer d’abord à son titre de prince héritier ; 2- dénoncer les exactions et tortures pratiqués sous le règne de son père et prendre ses distances avec les responsables de la SAVAK (l’infâme police secrète du chah) qui forment son entourage ; 3- rejeter définitivement la monarchie et proclamer son adhérence au système républicain ; 4- restituer au peuple iranien une partie des milliards de dollars détournés illégalement par son père.

Jusqu’à présent Reza Pahlavi a refusé de céder sur ces quatre critères de légitimité politiques qui lui font grandement défaut. Deux autres éléments contribuent à le disqualifier : son mépris pour les revendications d’autonomie des minorités ethniques dans le cadre de l'intégrité territoriale de l'Iran, ce qui lui a valu l’aliénation des peuples kurde et baloutche. Par ailleurs, ses accointances avec les pasdarans (l’armée répressive du régime), qu’il affiche ouvertement et sur qui il mise pour réaliser son projet, font mal. « Je suis en contact bilatéral avec les militaires, les gardiens de la révolution et le Bassidj. Nous communiquons. Ils signalent qu'ils sont prêts et expriment leur volonté de s'aligner sur le peuple, » a-t-il déclaré à la chaine Iran International en 2018. Intervenant au Washington Institute for Near East Policy (le 18 décembre 2018) il a réitéré que son espoir de changement passe par les forces des pasdarans et de la milice du Bassidj, affirmant être en contact avec des éléments "très bien placées".

La réalité est que le projet de retour à la monarchie n’est pas un mouvement authentique, mais un détournement des aspirations et des sacrifices du peuple iranien, à l’instar de Khomeiny qui a détournée la révolution antimonarchique de ce peuple en 1979. Ce projet semble être une bulle médiatique promu artificiellement par des chaines de télévision étrangères, notamment « Iran International » financé par l’Arabie Saoudite. Par ailleurs, les stratèges du régime ne sont pas étrangers à la promotion de l’option monarchiste, certains médias ayant fuité le rôle des services iraniens à mettre en avant « l’alternative monarchiste » qui est dépourvue d’organisation et de structure dans le pays, au détriment des structures à l’intérieur du pays qui sont le souffle du soulèvement et qui proclament hauts et fort : « A bas la dictature, qu’il soit Shah ou mollahs ». 

Il est évident que le peuple iranien aspire à une société juste et démocratique, où aucun individu ne bénéficie de traitement préférentiel fondé sur la religion, la naissance ou tout autres critères arbitraires. Il aspire à une république qui valorise l'égalité, la liberté et le respect de la dignité humaine, où la voix de chaque citoyen est entendue et où ses droits sont protégés.

Hamid Enayat 

Le spécialiste de l’Iran est basé en Europe. Militant des droits de l'homme et opposant au régime de son pays, il écrit sur les questions iraniennes et régionales. Il est en faveur de la laïcité et des libertés fondamentales.