En fait, sans le vouloir, ce sont les lecteurs et les auditeurs qui m’ont soufflé l’idée de cette chronique. Cela fait plusieurs années déjà que j’écris sur la laïcité. Et je suis désormais habituée à une chose : beaucoup des messages de soutiens ou de remerciements que je reçois proviennent de personnes qui se présentent à moi comme des Français musulmans laïcs. Je n'avais jamais songé à le noter ou à en parler, car ça me paraissait une évidence que ce combat est partagé par tous ceux qui ne veulent pas des injonctions politiques des religions. Mais en voyant passer récemment des extraits de débats sur C8 ou sur les réseaux sociaux, je me suis dit que la nouvelle économie médiatique, la recherche du buzz et de la caricature des oppositions aboutit à une « représentation mentale » du débat qui est faussée. Notamment auprès des plus jeunes générations. Comme si la défense de la laïcité était une guerre entre blancs et « racisés » ou entre athées et musulmans.

Il existe de nombreux Français musulmans laïcs. Mais ils ne sont pas toujours représentés ou, en tout cas, pas partout. Et ce trompe-l’œil est un piège. Pour la laïcité, qui se retrouve taxée d’intolérance. Mais aussi pour beaucoup de musulmans, qui se voient renvoyés à une orthodoxie supposée.

C’est-à-dire ? Cela dépasse le débat sur la laïcité. De manière générale, il y a une guerre de « représentation mentale » concernant les Français musulmans, qui bien entendu, ne sont pas d’un seul tenant. D’un côté, certains - les islamistes, tout comme les identitaires -, veulent installer l’idée et l’image qu’un musulman ne peut être séculier. De l’autre côté, il se développe une assignation identitaire bienveillante. C’est cette école publique, qui demande par deux fois à un couple au nom à consonnance arabe si leur enfant a bien le droit de manger du porc à la cantine. C’est un commerçant, qui précise à un client d’origine maghrébine que, s’il préfère, le sandwich à côté est hallal… 

Ces anecdotes m’ont été rapportées par des amis que ces prévenances ont faits tiquer. Ils les ont vécues comme un présupposé de distinction, une norme qui n’existait pas auparavant. Autre exemple, plus grave, car politique celui-là : souvenez-vous, lors du débat sur le burkini à Grenoble, en mai dernier. Une tribune signée notamment par les militantes Caroline De Haas ou Alice Coffin, soutenait l’initiative du maire d’autoriser le port du burkini dans les piscines municipales. Sinon, précisait la tribune, « les femmes musulmanes sont exclues des piscines ». Les femmes musulmanes? Première nouvelle !

Prenons garde. La passion de l’époque pour l’exaltation des différences conduit souvent à l’assignation identitaire. Et dans une période où la République est de plus en plus attaquée, les essentialisations n’arrangent rien. Pour ma part, je continuerai de goûter les instants de fraternité spontanée que suscite la défense de la laïcité. Pour cela, chers auditeurs, merci.

A lire : Anne Rosencher, Un chagrin français, Éditions de L’Observatoire, 2022, 136 p., 12 €.