Un emblème de la lutte contre la pédocriminalité

Durant l’affaire Dutroux, en 2005, Victor Hissel était pour tous un véritable héros. Le verbe haut, n'hésitant pas à accuser les magistrats de corruption et de complaisance à l’égard des réseaux pédophiles. Présent au côté des familles à toutes les conférences de presse et marches blanches, il est pour toute la Belgique considéré comme le chevalier blanc défiant un système. 

Son côté prédicateur, tout comme ses déclarations pas toujours mesurées et pas toujours forgées sur l'enclume du pur droit lui attirent toutefois des critiques. En mars 1998, se disant victime de pressions, il décide d'abandonner la défense des parents de Julie et de Mélissa.

Une détention illégale d’images pédopornographiques

Coup de théâtre, ce n’est que dix ans plus tard, en 2008, que l’on retrouve dans le cadre d’une enquête internationale à son domicile, la preuve de son intérêt pour les images à caractère pornographique.

Mis en examen, l’avocat de cinquante-deux ans reconnait les faits. Pour sa défense, il évoque des problèmes personnels et médicaux et déclare avoir été abusé durant son enfance. Mais, la justice ne l’entend pas de cette oreille. En mai 2011, Victor Hissel, l’ancien conseil des familles de Julie et Mélissa, est condamné par la Cour d'appel de Liège à une peine de 10 mois de prison avec sursis de 5 ans pour des faits de détention illégale d'images à caractère pédopornographique. L'avocat, qui dénonce un acharnement contre sa personne, se pourvoit alors en cassation. En octobre de la même année, la Cour de cassation rejette sa demande. En février 2012, Victor Hissel porte alors l’affaire devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH). Le 21 septembre 2021, elle déboute l’avocat et donne raison à l’Etat belge. Elle confirme la détention illégale de matériel pédopornographiques, plus de 7500 images entre 2005 et 2008.

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Copyright : JT – capture d’écran 24/06/2010

Poignardé par son fils

Mais l’affaire ne s’arrête pas là. En avril 2009, son fils Romain âgé de vingt ans tente de l’assassiner. Victor Hissel frôle la mort. En 2011, le jeune homme est poursuivi pour des coups et blessures portés à sa sœur le 21 mars 2009 et pour une tentative de parricide commise le 9 avril 2009 contre son père. Il évoque pour sa défense les penchants précriminels de son père. Le parquet a requis une peine de 5 ans de prison assortie d'un sursis probatoire. Les rapports d'expertise relèvent qu'il se trouvait en état de démence passagère au moment des faits. Les magistrats décident de l'acquitter, en vertu de l'article 71 du Code pénal belge.

Rejeté par ses pairs

Dans la foulée de sa condamnation, en 2012, le conseil de discipline du Barreau de Liège décide de radier Victor Hissel à vie. Mais l'avocat liégeois fait appel de cette décision. L’instance d'appel décide de donner une seconde chance en ne le radiant pas, mais en prononçant contre lui une suspension d'un an avec sursis de 5 ans pour la moitié. L’avocat est donc suspendu pendant 6 mois seulement. Victor Hissel peut poursuivre sa profession d’avocat, mais il ne peut plus plaider dans des dossiers de mœurs.

Le silence

Le réalisateur belge Joachim Delfosse construit son film sur la partie « parricide » de l’affaire et les dommages collatéraux induits par la découverte de cet avocat manipulateur apprécié pour sa respectabilité bourgeoise : un fils qui veut tuer son père avec une mère en souffrance, prise entre deux feux. Son éducation la porte au silence et la fait pencher du côté de son avocat de mari spécialisé dans les affaires de pédophilie, très médiatique. Nous sommes dans une autre génération, c’est alors une autre époque heureusement révolue et perdre l’acquis social est un drame. Cela n’empêchera pas la famille d’éclater sous le poids de ce silence malsain qui entoure la déviance criminelle.

La distribution du film

Les deux acteurs principaux, Emmanuelle Devos et Daniel Auteuil sont surprenants, mais pour eux cela devient un pléonasme. (C’est Benoit Poelvoorde qui était pressenti pour le rôle de l'avocat. Emmanuelle Devos quant à elle avait tout d’abord refusé le scénario).

Le personnage de Victor Hissel est sombre, complexe et malsain. Il va comme un air de Landru. Les grands mots de l’avocat et les silences de son épouse donnent une force exceptionnelle à ce film. Le fils, joué par Matthieu Galoux, est poignant. Emmanuelle Devos pleine de pudeur dans son silence assourdissant est dramatique. Toute l’action finalement se joue sur les émotions de cette femme emmurée, c’est certainement cela la force du film.

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JACKIE BONNET critique cinéma de France Télévision nous donne son avis : 

« Le point de vue extérieur, observateur, presque entomologique de Lafosse rappelle Claude Sautet. Mais comme le réalisateur des ‘Choses de la vie’, il y puise beaucoup d’émotion. Le duo Auteuil-Devos fonctionne le mieux du monde. Ce n’est pas une "petite musique" que l'on entend, puisqu’elle est inédite. Les comédiens prennent à cœur leur rôle, dans leur investissement dramatique, mais aussi le traitement d’un fléau contemporain qui fait l’actualité. On ne pourra réduire ‘Un silence’ à son seul sujet, angle qui prévaut souvent dans l’appréciation des films, au détriment de leur forme. Fondé sur un scénario original, non une adaptation, ‘Un silence’ joue d’une approche frontale de son sujet, mais subtile dans son développement, sa mise en scène et son interprétation, avec une comédienne et un comédien au sommet de leur art.»

Le silence …tue-t-il ?  Pour Daniel Auteuil : « Le silence est un méchant poison ». À nos confrères de : « C à vous » Emmanuelle Devos affirmait : "Se taire est très mauvais pour la santé. Le déni provoque sans doute des maladies physiques. J'ai perdu mes cheveux par poignées deux mois après la fin du tournage. Je pense que c'était vraiment une réaction liée au choc émotionnel."

Ce film est dérangeant, voir noir par instant. Il crée le malaise. En avait-on besoin à notre époque ? Les soixante premières minutes, sont exceptionnelles pour certains comme Léa Salamé sur France-Inter, pour d’autres, ennuyantes. Bien entendu, pour nous belges devrons-nous laisser guider nos émotions par le fait que nous connaissons le personnage principal ? Le film dégagera-t-il en Belgique les mêmes émois qu’en France ? Aura-t-il les mêmes répercussions ? À nous de juger ! 

« Un silence » un film de Joachim Delfosse
Adapté de l’histoire de Victor Hissel, l’avocat des victimes de Marc Dutroux
Déjà sorti en salle en France le 10 janvier et en Belgique le 24 janvier.