PAN : En 2022, les Belges ont payé 263 milliards d’impôts. Pourquoi sommes-nous les plus taxés à l’Europe alors que paradoxalement les caisses de l’Etat sont vides et les services au public s'amenuisent ? Y-a-t-il un véritablement un problème de mauvaise gouvernance ?

Typhanie Afschrift : Evidemment. Je vais vous donner un premier chiffre, et c’est un pur scandale, selon l’OCDE, la Belgique est le seul pays au monde où l’Etat prend plus de 50% des salaires (52%) ! On est le seul pays où l’on travaille plus pour l’Etat que pour soi-même et sa famille. Depuis 1960, le poids des impôts a doublé et c’est clairement imputable à une mauvaise gouvernance. La façon dont fonctionne la démocratie induit toujours que les gouvernements préfèrent augmenter les dépenses que diminuer les recettes. Quand on augmente une dépense, on annonce un cadeau, avec beaucoup de fracas. Diminuer un impôt, cela se voit beaucoup mois. Et quand on veut être électoraliste, on prend dès lors des mesures pour envoyer une impression de chèques offerts. Cela fait plaisir aux gens. On a le sentiment que l’Etat fait beaucoup. C’est de la pure démagogie !

PAN : On essaie de nous vendre une « réforme fiscale neutre ». Est-ce crédible ? 

Typhanie Afschrift : Tout d’abord, ce que l’on va faire, n’est pas ce que l’on peut appeler une réforme fiscale. Ensuite, aucune réforme fiscale n’est neutre. Cela reviendrait à ne rien réformer ! L’a priori que tous les partis ont, c’est qu’il ne faut pas que l’Etat ait moins d’argent qu’avant. On se prive donc déjà du principal instrument, soit réduire les impôts. A partir du moment où l’on ne veut pas réduire les dépenses, on arrive nécessairement à un système où le niveau de fiscalité est identique après à ce qu’il était avant. C’est la première manière de rater une réforme.

PAN : On nous parle aussi d’un « contribution temporaire de solidarité sur les grandes fortunes ». On sait que le « temporaire » devient souvent définitif dans le chef de l’Etat, qui plus est en termes de taxes. N’est-ce pas un peu hypocrite ?

Typhanie Afschrift : Il faut le dire. On a un système cynique qui pointe particulièrement la classe moyenne car elle est en plus grand nombre et elle a une certaine capacité contributive à payer l’impôt. En ce qui concerne les « super » riches, Paul Magnette vient de lancer une initiative populaire pour promouvoir un impôt sur les grandes fortunes au niveaux européen. Bon, il faut un an pour réunir l’ensemble des signatures et dans un an le parlement sera dissout. Donc, cela ne sera jamais voté. Mais, cela lui permet de surfer sur le sujet. Il y a aussi eu des propositions du PS et du PTB au parlement belge. Tout cela est purement électoraliste aussi. L’impôt sur la fortune, doit être payable avec les revenus. Autrement, c’est de la spoliation. Et l’impôt sur la fortune, on l’a déjà. C’est quoi d’autre les droits de succession ? Les projets de Paul Magnette ou ceux du PTB, c’est encore vouloir nous rajouter un impôt de plus.

PAN : Le gouvernement semble vouloir partir à la chasse des revenus locatifs, garages, kots étudiants et autres. Le contribuable va-t-il aussi être piégé à ce niveau-là ?

Typhanie Afschrift : Il faut quand même une bonne nouvelle dans tout cela. Il n’en est pas question pour l’instant. C’était un « effet d’annonce publicitaire » fait par le ministre Van Peteghem le 5 juillet 2022. Et c’est le genre de réforme que l’on ne fait pas avant les élections. A voir si la question se posera après. Mais, c’est bien plus compliqué que ce qu’il ne laisse entendre et son administration le sait très bien. Sur les biens donnés en location a des fins privées, on est taxés sur un revenu cadastral avec date de référence au 1er janvier 1975 ! Vous vous rendez compte. L’administration n’a pas du tout envie de refaire un calcul qui date d’il y a 50 ans. Est-ce une bonne affaire ? C’est vrai que l’on paie sur le revenu cadastral, mais on paie deux fois : on paie le précompte immobilier et on paie par ce que l’on déclare dans la déclaration fiscale. Ensuite ce précompte immobilier ne correspond plus à aucune réalité. Certains biens ont gagné en valeur, mais d’autres ont perdu. Et puis, il y a tout le côté politique belge au milieu de tout cela. Parce que si l’on taxe les revenus réels, on ne va pas en plus taxer au revenu cadastral. Il faudrait alors supprimer le précompte immobilier. Mais, si on supprime le précompte immobilier, qui est une taxe régionale et pas fédérale, avec des additionnels énormes qui sont communaux, et bien vous allez avoir l’Etat fédéral qui aura plus de recettes, les Régions qui en auront moins et les communes qui seront ruinées. Donc c’est inviable, sans faire une réforme de l’Etat. Et cela le ministre n’en a rien dit !

PAN : Au premier trimestre 2023, 72% des Belges sont actifs. On nous dit que pour motiver les demandeurs d’emploi à reprendre le chemin du travail, il faut augmenter le salaire-poche en allégeant l’impôt pour que la différence entre les allocations et le salaire net minimum soit plus importante. Est-ce réaliste dans le projet de réforme ?

Typhanie Afschrift : Un problème est réel, notamment mis en exergue par Georges-Louis Bouchez, le président du MR : le taux d’emploi est faible en Belgique. Dans la zone euro, la moyenne est de 74% ; au Pays-Bas et en Allemagne, c’est 80%. Et moins il y a de gens au travail, plus il y en a qui touchent des allocations à charge du budget et moins ils contribuent. Cela étant dit, effectivement, un des gros problèmes, c’est que l’écart est insuffisant entre l’emploi et le non-emploi. Quand un ministre nous dit qu’il faut au moins 500 euros d’écart entre les deux, je trouve que l’on n’est pas très ambitieux. Ce n’est pas un incitant très remarquable. Et ce n’est pas avec la réforme Van Peteghem que l’on va résoudre la question puisque la modification qu’il fait au barème, de son propre aveu, cela va permettre de gagner 89,00 euros par mois ! Pour quel profil ? En résumé, il faut que la personne travaille dans le secteur public, pour ne pas être impacté par d’autres mesures fiscales, qu’il n’ait pas de fortune et qu’il soit un herbivore complet …

PAN : Le fisc mise sur un pouvoir d’achat en hausse et donc plus de consommation. De 6% à 9%, de 12% à 9%, voire à 0% pour les fruits et légumes, plusieurs aliments pourraient voir leur TVA changer : quel sera l’impact sur le pouvoir d'achat ? Ne risque-t-on pas aussi de reprendre d’une main ce qu’on a donné de l’autre ? N’est-ce pas du greenwashing ?

Typhanie Afschrift : On se moque réellement du monde. C’est effectivement du greenwashing. On présente les choses comme si elles étaient neutres. En réalité, cela va couter un milliard au consommateur sur une base annuelle. Ce que l’on ne vous dit pas, c’est qu’en réalité, il y a peu de produits taxés à 12% qui vont subir une diminution, tandis qu’il y a beaucoup de produits taxés à 6% qui vont subir une augmentation. Les produits qui vont augmenter vont donc générer plus de recettes à l’Etat que ce qu’il ne lâche. Et parmi ce qui va être taxé très lourdement, il y a les produits alimentaires. Et il y a aussi les livres. Il n’y a pas pire comme mesure anti-culturelle ! On s’attaque aux deux symboles de nourriture : le pain et la lecture. On se moque des gens.

PAN : L’alimentation devient, après le logement, la première variable d’ajustement. L’inflation gronde : 20% des Belges vivent sous le seuil de pauvreté et ce sont des travailleurs. Un blocage des prix au supermarché, comme en France, est-elle la solution ?

Typhanie Afschrift : Je ne crois jamais au blocage des prix. Cela peut avoir très temporairement un petit effet. Mais, si les prix augmentent, c’est parce que toute la chaîne de production subit une augmentation. Et c’est aussi un problème de distribution. On ne peut pas l’expliquer simplement sous l’angle de la fiscalité. Pour la France et ses prix moins chers, j’avoue que cela demeure une énigme, car ce sont les mêmes centrales d’achat. 

PAN : On a du savoir-faire en Belgique. En revanche la concurrence est rude. Dans un petit pays comme le nôtre, ne devrions-nous pas supprimer les anomalies du système actuel en termes de TVA et d’accises pour éviter de se faire concurrencer par des produits et des services qui viennent de l’étranger ? 

Typhanie Afschrift : D’abord toucher aux droits de douane est impossible sans quitter l’Union Européenne. Ensuite, et les Etats-Unis commencent à jouer à ce jeu-là, ils l’on fait sous Trump pour contrer les importations chinoises, favoriser notre production nationale est un mauvais système et un très mauvais signal. Qui va payer ? Encore une fois, c’est le consommateur. S’il achète des produits chinois, c’est parce qu’ils sont moins chers. Il faudrait plutôt favoriser le producteur belge. La première chose à faire est donc d’éviter de le sanctionner fiscalement par rapport à ses concurrents étrangers et de travailler aussi sur les surcoûts salariaux qui engorgent l’entrepreneur belge par rapport à d’autres pays. Une chose est claire : L’économie belge soufre à cause de l’Etat.

PAN : Nous sommes le seul pays au monde où il y a autant de voitures de société. C’est quasiment un fleuron national. On en parle peu dans le projet de réforme. Qu’en est-il ?

Typhanie Afschrift : Ce n’est pas prévu que l’on touche à cet avantage en nature, soit la taxation sur base d’un forfait plutôt que sur base d’un coût réel que représente la voiture. Simplement, l’avantage diminue au fil des années et au fil des réformes. L’Etat a déjà pris un certain nombre de mesures qui font que les voitures de société sont moins avantageuses qu’elles ne l’étaient avant, sauf si l’on opte pour une voiture électrique. Maintenant, le fait qu’un travailleur paie plus d’impôts sur un salaire plein par rapport à celui qui a un salaire moindre associé à une voiture de société est philosophiquement discutable. C’est cependant tout ce que l’on a trouvé pour compenser la lourdeur de l’impôt. Si on supprime cet avantage, il faut alors aller jusqu’au bout de la démarche et diminuer la taxation sur les revenus du travail.

PAN : Un gouffre sépare actuellement les partis sur la plupart des points-clés. Si la réforme passe, qui va sortir gagnant ? les bas salaires, les moyens ou les gros revenus ?

Typhanie Afschrift : Van Peteghem annonce la première phase d’une vaste réforme fiscale. Il sait très bien qu’il ne sera plus là pour la deuxième. Il ne sait même pas s’il y aura une deuxième phase et ce qu’il y aura dedans. Et il n’est pas du tout certain non plus qu’il y aura une première phase. Sur le fond, cette réforme telle qu’elle a été pensée par les fonctionnaires du ministère des finances épargne entièrement les fonctionnaires puisqu’ils bénéficieraient de la modification du système de barèmes. En revanche, ils ne sont pas concernés par le deuxième pilier de pension, ils n’ont pas non plus de stock-options, etc. Enfin, sur ce point-là, heureusement pour eux, car si on devait les évaluer sur la valeur de l’Etat, ils seraient perdants à tous les coups … 

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