Au chevet de l’école, un constat saignant : elle est très mal en point. Aux fins de se disculper de cette descente aux enfers, « médicaliser » le séisme est le biais trouvé par le politique. Ce n’est pourtant pas la faute au récent covid. Les causes sont plus profondes et moins obscures qu'on ne veut bien le laisser entendre. La mort programmée de l’école prend racines dans les dérives successives de notre système scolaire. Jean-Paul Brighelli a passé quarante-cinq ans dans l’Éducation nationale française et il est en colère. En colère non pas contre son métier, ni contre ses élèves. En colère contre les « pédagos » de tous poils et les politiques complices qui, depuis des décennies, enfoncent nos enfants dans le marécage de l’ignorance en vidant les apprentissages de leur substance.

Déboulonner à tout va !

Education nouvelle et pédagogisme, méthode globale, classes inversées et suppression des cours d’histoire et de géographie à la faveur de catégories « fourre-tout » sont autant de causes endogènes. Le fait que la novlangue s’immisce dans les apprentissage est aussi un signal fort de ce nivèlement par le bas. Ne dites plus « dissertation », dites « expression écrite », ne dites plus « parler » ou « écrire » mais « produire des messages ».

Afin de céder aux sensibilités de chacun, certains déboulonnent Colomb, d’autres Colbert, d’autres encore Leopold Ier, selon les pays et les régions. C’est oublier que la mémoire historique n’est pas superflue ou d’une importance relative. L’enseignement de l’histoire comme l’étude géopolitique rendent visible la marché du passé, pour comprendre la réalité du présent et surtout appréhender l’avenir.

Cultiver l’ignorance

« On recrute des maîtres et on les forme de façon à enseigner cette ignorance avec une continuité remarquable », affirme Jean-Paul Brighelli. « il n’est plus question de savoirs, mais de savoir-faire, de savoir-être, de savoir s’exprimer, de savoir se passer la main dans le dos et de savoir manipuler son portable pendant les cours. […] Il faut que l’élève soit heureux, il ne faut pas le contrarier, il ne faut pas lui mettre de mauvaises notes ». Le fait que le terme de « compétence » se substitue à celui de « connaissance » est d’ailleurs un symbole fort.

Fini donc les points, place aux couleurs, feu vert, feu orange ou feu rouge, histoire de ne pas « traumatiser ». Les enseignants sont priés de mettre une croix dans la colonne « acquis » ou dans la colonne « en voie d’acquisition ». Les plus téméraires, au risque d’être mal vus par les parents d’élèves ou par leur direction, peuvent aussi cocher la colonne « non acquis ».

Des consommateurs semi-illettrés

Le français, terreau de notre culture héritées des Lumières, est sans doute la matière par excellence la plus impactée dans ce système éducatif en déliquescence.  Notre langue s’éteint. La disparition progressive des temps - subjonctif, passé simple, imparfait, formes composées du futur et participe passé - donne lieu à une pensée au présent, limitée à l’instant, incapable de projections dans le temps. Comment envisager un avenir pluriel sans conjugaisons plurielles ? Moins de mots et moins de verbes conjugués, c’est aussi autant de coups mortels portés à la subtilité de l’expression. Résultat ? « Ce système produit des consommateurs semi-illettrés, susceptibles d’être déplacés comme des pions dans un système ubérisé des pieds à la tête, abrutis de télévision, manipulés à chaque élection pour la plus grande gloire d’une caste en auto-remplacement […] Autrefois, on disait panem et circenses, du pain et des jeux […] Ça suffit à tenir une société, et à la tenir très longtemps ».

Une équation violente

L’usage abusif des onomatopées offre aussi moins de possibilités d’élaborer une pensée. Dommage collatéral : plusieurs études récentes en sciences cognitives démontrent un lien direct entre la violence dans la sphère publique et privée et l’incapacité à mettre des mots sur les émotions. De la pénétration de l’islam dans les jeunes têtes et de prises de positions radicales dans les salles de classe, il est aussi ici question. 

L’Histoire réécrite, nos renoncements, le nivèlement par le bas, notre laïcité à géométrie variable, la tolérance à l'intolérance religieuse sont autant de raisons qui expliquent le processus de déstructuration de cette école que l'on a voulu démanteler car elle représentait l'Ancien Monde. Mais, les décadences n’arrivent jamais par hasard. La modernité ne voulait pas de citoyens pensants, informés, critiques et cultivés. C'est cet enchaînement que décrit pertinemment bien Jean-Paul Brighelli dans « La Fabrique du crétin. Vers l'apocalypse scolaire ». 

Un ouvrage à offrir à chaque ministre de l’Education …