Les prix du gaz semblent retrouver des niveaux acceptables. La crise énergétique est-elle définitivement derrière nous ?

Damien Ernst : Les choses se présentent bien et les perspectives sont encore meilleures. On sent que les Russes ont conscience d’avoir perdu la guerre du gaz et ils ne devraient plus couper leurs approvisionnements, d’autant plus qu’ils ont besoin d’argent. Trois pays sont actuellement alimentés par le gaz russe, à savoir l'Autriche, la Hongrie et la Serbie. Si ces derniers tirent vraiment sur leurs approvisionnements, la situation pourrait se dégrader légèrement, mais dans l’ensemble, elle reste très correcte par rapport à ce qu’on a connu l’année dernière. 

Le prix du pétrole, qui est monté à 130 dollars le baril en avril/mai 2022, est lui aussi en train de chuter. Il est désormais à 80 dollars le baril même si les sanctions contre la Russie n’ont pas empêché leur pétrole d’atteindre certains marchés, asiatiques notamment. Enfin, on discute trop peu du charbon, malgré son importance. L’année passée, la tonne est montée à 400 euros, contre 200 aujourd’hui. 

Qu’est-ce qui pourrait nous faire replonger dans une situation critique ?

Damien Ernst : En ce qui concerne le gaz, si la consommation chute trop, il pourrait se raréfier, ce qui entraînera une augmentation des prix. Il ne faut pas crier victoire trop tôt, car nous ne sommes pas tout à fait sortis de cette crise. 

Dans le contexte actuel, le risque de sabotage d’infrastructures comme North Stream 1 et 2 demeure réel. On ne peut pas exclure des actions de la part de la Russie, notamment vers les champs gaziers et les gazoducs à proximité de la Norvège. Cela pourrait provoquer une énorme crise du gaz, avec des conséquences désastreuses. D’ailleurs, les personnes qui ne veulent plus subir ces crises énergétiques devraient se diriger vers des contrats d’approvisionnement à prix fixe, ce qui constitue une vraie sécurité en cas de dégradation de la situation.

En ce qui concerne les températures, nous avons eu beaucoup de chance cet hiver. Mais, admettons que le mois de mars soit très froid : les prix grimperaient à nouveau. De plus, on semble encore une fois s’orienter vers une année peu pluvieuse, les moyens de production hydrauliques risquent donc de tourner au ralenti. Il en est de même pour le vent : l’année dernière n’était pas très bonne.

Comment expliquer que la catastrophe annoncée n’a pas eu lieu ? 

Damien Ernst: C’est principalement dû à la douceur de l’hiver, mais aussi à la capacité de l’Europe à attirer beaucoup de bateaux LNG. Enfin, les Allemands ont été très rapides pour installer des méthaniers flottants, ce qui a permis de pallier le manque de terminaux LNG. Malgré leurs erreurs, qui ont coûté très cher, ils ont ensuite pris de très bonnes décisions. 

Recul pris, peut-on parler d’erreurs d’anticipation de la part des gouvernements européens ? 

Damien Ernst: Forcément, puisque sans ces erreurs il n’y aurait pas eu de crise. Pourtant, les réactions à la crise ont été bonnes. Malgré tout, je pense que ce sont les marchés qui ont sauvé la situation. Ils ont très bien fonctionné en cristallisant des signaux prix qui ont permis d’attirer du LNG et de tuer la demande, avec tous les dégâts que cela a occasionné. En somme, les pays européens s’en sortent plutôt bien, et c’est la Russie qui paye les pots cassés. Son client le plus fidèle, l’Allemagne, s’est éloigné et un éventuel retour à la normal n’aura pas lieu avant des années. D’ailleurs, on sent bien que Moscou, qui n’a pas réussi à mettre l’Europe à genoux, essaye de gagner à nouveau des marchés pour faire face à un manque de liquidités. 

Affronter le pire nous a donc coûté excessivement cher pour rien. N’est-ce pas dommage ?

Damien Ernst : Ça nous a couté très cher, mais le jeu en valait la chandelle, puisque sans préparation, si le pire était arrivé, les conséquences auraient pu être catastrophiques. On a, en quelque sorte, acheté une assurance en remplissant nos réserves de gaz à un moment où ce dernier coûtait très cher. Pour autant, ces choix ont été bons et le problème se pose toujours pour l’hiver prochain. Ce sera donc une très bonne chose de le commencer avec des réserves assez hautes. De plus, en termes de politique de l’énergie, quand les Russes sauront que l’Europe est dans une position confortable, ils ne pourront plus essayer de limiter les volumes, ce qui est une très bonne nouvelle. C’est une des raisons pour laquelle Moscou enverra plus de gaz vers l’Europe. Nous avons donc fait un très bon investissement à long terme.