La première question à se poser est celle des objectifs de guerre. Toute action quelle qu’elle soit, a fortiori militaire, doit répondre à des objectifs. Certes, l’histoire offre quantité d’exemples d’actions et campagnes militaires purement passionnelles, haineuses. Mais, dans ce cas, il reste un objectif, qui est la destruction de l’adversaire.

Trois parties sont impliquées dans le conflit. L’objectif de l’Ukraine est de reprendre les territoires conquis par Moscou non seulement depuis 2021, mais depuis 2014, ce qui inclut la Crimée. Net et prévisible. L’objectif de la Fédération de Russie est de conserver la Crimée et les « républiques autonomes » du Donbass, tout en évitant que l’Ukraine n’entre jamais dans l’OTAN. Clair, prévisible, et relativement constant. On est, bien sûr, en droit de s’interroger sur la vérité des objectifs russes, tant les mouvements militaires russes sur le terrain ont semblé s’en éloigner. Ainsi de la tentative avortée de prendre Kiev - qui n’a jamais été une « diversion » que dans des esprits fantaisistes - et du fait que l’occupation russe a dépassé le Donbass, avant que la contre-offensive ukrainienne ne l’y repousse. Reste que les objectifs revendiqués par la Russie sont réels, exprimés, et relativement prévisibles.

Quels objectifs de guerre pour l’OTAN ?

La difficulté, pour l’analyste et pour les citoyens occidentaux que nous sommes, est de comprendre les objectifs de guerre de l’OTAN. En réalité, l’OTAN n’a pas d’objectif de guerre, car elle n’est pas juridiquement partie au conflit. Qualifions dès lors d’alliance occidentale, sous stricte coordination américaine, cette titanesque fourniture d’armes, de fonds et d’ ‘intelligence’ à l’Ukraine par l’Occident.

Prétendre que l’alliance occidentale n’a pas d’objectifs, seulement permettre à l’Ukraine de poursuivre les siens, est un sophisme. Europe et États-Unis ne fournissent pas des dizaines de milliards et le matériel militaire le plus sophistiqué au régime ukrainien sans exercer ne serait-ce qu’un vague regard sur ses objectifs de guerre. Par ailleurs, sans le soutien occidental, il ne faudrait pas trois quarts d’heure pour que le régime ukrainien ne s’effondre.

Une protection américaine en jeu

Que l’on déchire le voile des mots, et l’on verra que l’Europe est tétanisée par l’idée de perdre la protection américaine — à juste titre, en l’état des moyens militaires de l’Europe. D’où le pas de deux auquel nous venons d’assister avec l’Allemagne qui livrera tous les chars Léopard qu’on voudra, à la condition expresse que les États-Unis livre ses chars Abrams. Car l’Allemagne, seule, a peur de la Russie, et à bon droit car à l’heure actuelle son armée est une talentueuse équipe de garde-champêtres en bonne condition physique.

Par conséquent, ce qui doit nous occuper, d’un strict point de vue réaliste, ce sont les objectifs de guerre américains en Ukraine. Ces objectifs n’ont jamais été exprimés en tant que tels, par les motifs que nous venons de rappeler. Nous en sommes donc réduits aux conjectures. Trois possibilités se dessinent.

Pour quelles finalités ?

Si l’objectif est de reprendre la Crimée, que la Russie considère comme territoire russe à part entière, alors le conflit risque bien de prendre un tour nucléaire, comme pressenti par l’ancien président Trump. Idem si l’objectif est de provoquer un chagement de régime à Moscou (sic), un objectif messianique qui n’est pas à exclure quand on mesure l’influence à Washington d’un George Soros, omniprésent dans l’administration Biden comme le montrait le New York Post dans une remarquable enquête parue le 24 janvier « With Joe Biden, George Soros finally had a president he could control ».  Bien naïf celui qui pense que les armes nucléaires sont faites pour ne pas s’en servir. 

Si l’objectif est de transiger, les contours d’un accord se dessinent. Comme le rappelait Michaël Van Damme dans le Pallieterke la semaine dernière (« Een langetermijnstrategie tegenover Rusland ontwikkelen »), les Russes ne lâcheront pas le Donbass. D’un autre côté, comme le soulignait, cette semaine également, Henry Kissinger, l’idée que l’Ukraine occidentale restera après la guerre à mi-chemin entre l’Est et l’Ouest a fait son temps. L’entrée de l’Ukraine occidentale — moins la Crimée et le Donbass — dans l’OTAN n’a plus rien de fantasque. Les conditions d’une négociation paraissent réunies. Mais à l’heure actuelle, personne n’en veut, et nous sommes dans une logique d’escalade au sens strict, jusqu’à l’extrémiste verte ministre allemande des Affaires étrangères Annalena Baerbock (Die Grünen) qui déclare « nous sommes en guerre avec la Russie. » Oh, really ? 

Peut-être l’objectif américain est-il d’épuiser l’armée russe, dans la perspective d’une future confrontation entre la Russie et l’OTAN ? Cela ferait sens, car la Russie brûle en effet des volumes titanesques de matériel militaire et subit de sévères pertes humaines. Toutefois, gardons à l’esprit que les Russes sont prêts à mourir, par centaines de milliers, pour l’Ukraine. Envoyer leurs enfants de 18 ou 20 ans au front, et ne jamais les voir revenir.  Et vous, êtes-vous prêt à mourir pour l’Ukraine ? Pas seulement financer : mourir ! Le temps ne joue pas en notre faveur …