L'enquête de l'ICIJ a révélé l'utilisation de sociétés écrans et de trusts par 29 000 personnes dans le monde, dont des hommes politiques, des hommes d'affaires et des criminels. Elle a également montré comment des oligarques russes sanctionnés et leurs associés ont utilisé ces entités pour contourner les sanctions et posséder des actifs dans des pays européens.

Des seuils abaissés

Le 22 décembre 2021, la Commission européenne a présenté une proposition de directive établissant des règles visant à prévenir l'utilisation abusive d'entités fictives à des fins fiscales (UNSHELL) et modifiant la directive 2011/16/UE. La proposition vise à créer un système de filtrage, organisé en plusieurs étapes (revenus, locaux, personnel, etc.), pour aider les États-membres à identifier les entreprises qui n’ont pas de « substance suffisante », soit qui n'exercent aucune activité économique réelle, et qui peuvent être utilisées abusivement à des fins d'évasion ou de fraude fiscale. Elles seront « présumées fictives » et perdront tous les avantages fiscaux accordés par les conventions fiscales bilatérales ou les directives de l'UE. Le but ? Décourager leur utilisation. La proposition ne vise pas les « entreprises financières », comme les banques et autres institutions réglementées.

La version amendée du Parlement européen abaisse les seuils en dessous desquels les entreprises sont exemptées des obligations de déclaration, et détaille davantage les sanctions pour les entités qui ne se conforment pas à la nouvelle réglementation, y compris celles dont le revenu est nul ou faible. Pour les député européens, « il peut y avoir des raisons valables d'utiliser des sociétés ayant une substance économique minimale (…) ». « La lutte contre la fraude et l'évasion n'a jamais été aussi importante pour nos citoyens [qu'aujourd'hui] », a de son côté déclaré Lidia Pereira, rapporteur de la commission, lors d'un débat visant à discuter de la position du Parlement sur la proposition.

Un risque d’édulcoration

Le vote au Parlement n'est que l'une des étapes par lesquelles doit passer la directive depuis que la Commission européenne l'a proposée en 2021. La directive requiert à présent l'unanimité au Conseil pour son adoption et les négociations sont en cours.

Les défenseurs de la justice fiscale ont accueilli favorablement la proposition de directive mais restent prudents quant à son efficacité à l'avenir. Chiara Putaturo, conseillère en politique fiscale chez Oxfam, l’organisation caritative internationale, a déclaré que la balle était dans le camp du Conseil. Le rapport que le Parlement a adopté « n'est pas contraignant et nous savons que la proposition [de la Commission européenne] risque d'être édulcorée par certains paradis fiscaux de l'UE au Conseil ». 

Pour Moran Harari, chercheur chez Tax Justice Network (NDLR : L'ONG Tax Justice Network est un réseau créé autour d'une coalition de chercheurs partageant des préoccupations communes à propos de l'optimisation fiscale, de la concurrence fiscale et des paradis fiscaux), la directive est une étape importante dans la lutte contre l'évasion fiscale, mais elle est « en fin de compte une occasion manquée et trop faible pour freiner de manière significative les abus fiscaux des entreprises ».

Il est à noter également que le manque de transparence financière, induit notamment par la décision de la Cour de justice de l'Union européenne d'annuler l'obligation faite aux États membres en 2018 de publier des bases de données sur les propriétaires de sociétés, entrave toujours la lutte contre l'évasion fiscale.

La Commission européenne prépare toutefois également une nouvelle proposition de texte découlant des révélations des Pandora Papers sur le rôle des intermédiaires. La directive proposée s'intitule SAFE, acronyme de « Securing the Activity Framework of Enablers ». Elle vise les professionnels qui permettent l'évasion fiscale et la planification fiscale agressive, et devrait être prête pour la mi-2023.