Une course contre la montre

« Les caméras de surveillance sont certes une véritable plus-value dans notre panel d’outils. En travaillant sur le signalement ou les comportements suspects, les créneaux horaires et le parcours, les enregistrements permettent de faire avancer plus rapidement une enquête. Mais, c’est une véritable course contre la montre », nous explique V.R., commissaire de police à Bruxelles. « Le temps qui nous est imparti est un facteur déterminant dans la définition d’un profil, comme dans l’établissement de sa cartographie criminelle, dans la mesure où les bandes d’enregistrements sont conservées entre 24 et 72 heures seulement et qu’elles s’effacent ensuite, pour des impératifs de stockage, afin de faire de la place à de nouvelles images ». 

Une analyse des données compliquée

Le commissaire V.R. nuance encore : « Il faut aussi, derrière la caméra, avoir des personnes en nombre suffisant pour analyser ces milliers d’images avant qu’elles ne disparaissent (NDLR : en moyenne une seconde de vidéo représente 24 images, soit 2.073.600 images captées en 24 heures). Il faut ensuite que ces opérateurs aient la compétence de détecter visuellement une anomalie, de ventiler les données et de les traiter. Il ne suffit pas de maîtriser la technologie, il faut avoir une excellente formation à l’analyse des comportements suspects. Et dans ce domaine, rien ne remplace l’expertise sur le terrain. Un civil derrière une machine, même s’il est brillant en informatique, n’aura pas la même réactivité qu’un policier. Et enfin, il y a aussi toute la complexité de l’espace urbain auquel nous sommes confrontés. On a beau, aujourd’hui, avoir des centaines de milliers de caméras de surveillance positionnées, on n’est loin de couvrir 100% du territoire. »

Un effet dissuasif limité

« En termes de prévention, contrairement aux idées reçues, il faut là aussi moduler selon qu’il s’agisse d’actes impulsifs ou d’actes réfléchis », poursuit le commissaire V.R. « Lorsqu’il s’agit d’atteinte aux biens, comme un vol de voiture, on constate que la caméra trouve toute son utilité dissuasive, notamment dans les parcs de stationnement. Mais, un délinquant sexuel qui veut agresser une jeune femme ou un dealer qui vend ses produits à des toxicos ne seront pas freiner dans leur passage à l’acte parce que l’endroit où ils se trouvent est potentiellement filmé. En outre, quand les actes délictueux sont organisés, comme un braquage ou un attentat par exemple, on constate que les auteurs jouent avec les systèmes de surveillance pour les déjouer. L’endroit, par ailleurs, où est positionnée une caméra a aussi un impact direct sur son efficacité. Les caméras sont assez performantes dans les lieux fermés comme les métros ou les parkings souterrains parce que les délinquants savent qu’ils peuvent difficilement s’en échapper. En revanche, l’effet dissuasif est quasiment inexistant dans les milieux ouverts, tels que les places publiques ou les grands événements à ciel ouvert. Enfin, on constate aussi que la crainte de la surveillance électronique ne dure en général que quelques mois. Ce n’est pas parce que nous avons des caméras embarquées dans nos véhicules de patrouille, par exemple, qu’il y a moins de personnes qui prennent le risque de rouler sans assurance. » 

Si elle remplit certaines missions, la technique doit donc demeurer couplés aux capacités d'interventions humaines. « Les caméras ne peuvent suffire à elles seules à prévenir un acte délictueux. Pour preuve, la ville de Nice, qui est une des villes les plus équipée de France. Et pourtant, les autorités n’ont pas su éviter le drame de la Promenade des Anglais. La technologie nous aide bien sûr, et elle peut même faire des miracles pour résoudre une affaire, mais rien ne remplacera l’œil d’un policier. Et cela coûte, en outre, bien moins cher ! », ponctue le commissaire V.R.

Un constat validé par plusieurs études anglo-saxonnes solides – pour rappel, Londres est la ville européenne la plus équipée en termes de caméras dans l’espace public - ainsi que dans récente enquête menée en France par le sociologue Laurent Mucchielli. Le directeur de recherches au CNRS a mené une enquête de terrain dans trois villes françaises qu’il raconte dans son livre « Vous êtes filmés ! ». « Il n’y a pas d’impact dissuasif global », explique le chercheur, « notamment parce que la vidéosurveillance s’est banalisée ». 

Une atteinte à la vie privée

Dans un contexte d’efficacité limitée des caméras de vidéosurveillance, le projet de loi olympique «  « menace l’essence même du droit à la vie privée », insiste Frederike Kaltheuner, directrice de la division Technologie et Droits humains à Human Rights Watch. En effet, « si l’usage de caméras dotées d’algorithmes est destiné à détecter des événements suspects spécifiques dans l’espace public, ces caméras capteront et analyseront forcément des traits physiologiques et des comportements de personnes présentes dans ces espaces. Il pourra s’agir de la posture de leurs corps, de leur démarche, de leurs mouvements, de leurs gestes ou de leur apparence. Le fait d’isoler des personnes par rapport à leur environnement, qui s’avère indispensable en vue de remplir l’objectif du système, constitue une identification unique »

Or, selon l’interprétation du Comité européen de la protection des données, la capacité d’isoler une personne parmi une foule ou par rapport à son environnement, que son nom ou son identité soient connus ou non, constitue une « identification unique » contraire au traitement des données à caractère personnel.