Le grand gagnant des élections de 2019 était l’abstention : selon le SPF Intérieur, 900.000 électeurs ne se sont pas présentés au bureau de vote lors des élections législatives. A cela, s’ajoutent 430.000 citoyens qui ont déposé un bulletin blanc ou nul. Au total, 17% de la population belge n’a pas exercé son droit de vote. Selon une étude réalisée en 2021 par GfK, en collaboration avec des chercheurs de l’ULB et de la VUB, les causes de l’abstentionnisme sont multiples. Chez certains électeurs, l’abstention est le résultat de situations socio-économiques (isolement social, faible niveau d’éducation) qui rendent plus difficile la formulation d’un choix électoral. Pour d’autres, l’acte est involontaire et lié à des raisons professionnelles, de santé ou par manque d’informations. Il existe aussi les abstentionnistes de conjoncture, qui votent à certains scrutins, mais pas à d’autres. Enfin, on trouve des abstentionnistes protestataires.

Une méfiance en augmentation

D’après les auteurs, certains citoyens n’émettent pas de vote parce qu’ils ne se sentent pas bien représentés. Or, « des ratés dans la logique de représentation tendent à générer de la méfiance parmi les électeurs », constate le rapport. « En Wallonie, l’abstention et le vote non valide sont les premiers choix des électeurs très insatisfaits de la politique. En Flandre, c’est le 2ème choix après le vote pour des partis porteurs d’un rejet du système politique en place (Vlaams Belang, mais aussi N-VA). »

Pour Jean-Benoit Pilet, chercheur au Centre d’Etude de la Vie Politique de l’ULB et co-auteur de l’étude, les taux d’abstention records aux élections de 2010, 2014 et 2019 renvoient clairement à un rejet de la politique. Une tendance qui a commencé dans les années 70 et s’est accélérée dans les années 90. « Et on peut supposer que les deux années de crise sanitaire que nous venons de vivre ont encore érodé cette confiance. »

Minimum 16% de boycott

Selon les résultats du Grand baromètre Ipsos-Le Soir-RTL Info-Het Laatste Nieuws-VTM, réalisé en octobre 2023, pas loin d’un électeur sur cinq serait prêt à boycotter d’une manière ou d’une autre les scrutins. Selon ce sondage, réalisé mi-septembre auprès de 2.600 répondants (marge d’erreur maximale de 3,1% en Wallonie, 3,1% en Flandre et de 4% à Bruxelles), 74% des Belges interrogés annoncent qu’ils se déplaceront pour voter le jour J. Par ailleurs, 2% des sondés voteront par procuration, 8% hésitent encore à participer, 7% sont sûrs de ne pas se déplacer, et 9% voteront blanc ou nul. Sur base de ce sondage, c’est donc minimum 16% des Belges qui, d’une manière ou d’une autre, boycotteraient les élections, ce qui nous ramène aux chiffres de 2019. Le politique n’a-t-il toujours rien compris ?

Un manque de lisibilité

Très étonnamment, selon des chiffres constants, les citoyens qui « ne s'intéressent pas à la politique de manière générale » ne représentent que 11% des abstentionnistes potentiels. L’abstention ne traduit donc pas une indifférence des électeurs, mais un manque de lisibilité. Pour Michel Fansten, administrateur de l’INSEE honoraire, la représentation des comportements électoraux part d’une loi statistique simple : « Ayant à choisir entre plusieurs candidats, un électeur vote pour celui dont il se considère le plus proche compte tenu de sa lecture des enjeux. Moins les choix sont lisibles, plus l’abstention est forte, c’est ce qui définit un électeur qui ne vote pas ou qui vote blanc. Le fait que le camp du candidat dont il se sent le plus proche est divisé accroît encore l’abstention. Dans une situation où le rapport des forces en présence est à peu près équilibré, cette abstention plus forte dans un camp que dans l’autre déciderait ainsi du résultat du scrutin ». 

La dispersion politique joue aussi un rôle : « Il existe, pour un parti ou un candidat, une troisième manière de perdre une élection : chercher à élargir son électorat, en reprenant à son compte quelques-uns des thèmes de ses adversaires. Par exemple, la lutte contre l’insécurité pour un candidat de gauche. Ou la défense du pouvoir d’achat pour un candidat de droite. La plupart des candidats sont persuadés qu’ils peuvent gagner des voix en ajustant ainsi leur positionnement. L’observation montre que ce n’est généralement pas le cas. En modifiant son discours, le politique prend le risque de ne pas être compris, c’est- à-dire de ne pas être suivi ». C’est ici que nous avons une pensée émue pour Ecolo.

Pour Michel Fansten, avec un peu de jugeotte, l’équation est très simple : « L’échec électoral est une science exacte. Il incombe essentiellement aux candidats. Un candidat n’est jamais tout à fait sûr de gagner une élection, mais il existe un certain nombre de configurations, repérables à l’avance, dans lesquelles il peut être sûr de perdre ». Plus les propositions seront transparentes, moins il y aura d’abstentions, et d’autant chez les jeunes qui adoptent, plus facilement que leur aînés, le concept de « moratoire civique ».