Comment êtes-vous entré chez Sabena Technics ?

J-F V.H. : J’ai grandi dans une ferme et j’ai suivi des études techniques. Je travaillais dans un magasin de bricolage. Un professeur de mécanique est passé et il m’a dit qu’ils engageaient à la Sabena. Je me suis présenté pour travailler comme mécanicien sur les avions. J’y suis resté pendant 22 ans, jusqu’en 2011. Tout allait bien au début, lorsque la Sabena contrôlait tout, mais elle a fait faillite en 2001 et Sabena Technics fut rachetée en 2005. C’est à ce moment-là que c’est devenu compliqué. 

Compliqué ? Vous voulez dire que cela a déraillé ?

F V.H. : Il n’y avait que le nom qui comptait. Nous étions très réputés pour la maintenance des avions. A partir de ce moment, la qualité du travail a fortement baissé car le patron trouvait qu’on coûtait trop cher, qu’on travaillait trop bien. En 2010, le directeur nous annonçait une nouvelle restructuration. Quelques jours plus tard, 577 licenciements furent annoncés. J’en faisais partie. J’exprimais trop souvent mon mécontentement à ma hiérarchie sur les risques pris en nous faisant toujours travailler plus vite et en nous forçant à fermer les yeux sur certains défauts. Les gens sympathiques avec la hiérarchie, même les mauvais mécaniciens, sont restés. Pas moi. J’ai donc été licencié après 22 ans de bons et loyaux services. Et j’ai dû prester un an de préavis.

Un préavis que vous décrivez comme « marquant »…

F V.H. : Pendant mon année de préavis, la hiérarchie nous a fait bosser encore plus vite et plus mal. Le « ça ne doit pas aller vite, mais ça doit être bien fait » est devenu « tu te débrouilles, mais il faut que ça vole ». Les jeunes recrues quittant la société petit à petit, on s’est retrouvés à cinq au lieu de dix pour faire un petit entretien la nuit et les avions ont commencé à partir en retard le matin. Et quand les passagers râlent, Sabena Technics doit payer des astreintes aux compagnies étrangères. Le chef d'équipe, craignant pour son emploi, a donc commencé à signer tous les points qu'on n’avait pas eu le temps de faire. J'ai eu beau le traiter de fou, il semblait ne pas avoir le choix. Mais comment fais-tu pour savoir dormir ? Sa réponse était sidérante : « J'écoute la radio : le temps de rentrer à la maison et de me mettre au lit, tous les avions ont décollé. S'ils ne disent rien sur les ondes, c'est que c'est bon ». Quelques jours plus tard, je dois intervenir sur la queue d’un avion pour le graissage de deux glissières. Alors que je suis occupé à appliquer la graisse, je découvre une fissure d'une dizaine de centimètres ; Si elle s’agrandit, la queue risque de s’arracher. Croyant épater le chef en écrivant mon rapport, c'est à des reproches que j'ai eu droit. J’ai pourtant fait des pieds et des mains pour que l'avion ne décolle pas le lendemain matin, malgré la pression de ma hiérarchie. Ils finissent par trouver un avion de remplacement et je peux rentrer à la maison l'esprit tranquille, mais épuisé.

Craignez-vous aujourd’hui pour la sécurité aérienne ?

F V.H. : Nous étions près de 200 personnes à l’époque à faire des gros entretiens sur un mois. Maintenant, j’ai encore quelques collègues qui travaillent dans l’aviation, ils me disent qu’ils font ça en une semaine. Etonnant, non ? Les perpétuelles économies sur la main d’œuvre au détriment de la sécurité m’inquiètent. En résumé, si l’on veut voler toujours plus léger en consommant moins, je n’ai pas l’impression que cela va améliorer la sécurité.

« Arroser les cochons », disponible sur Amazon France, est une autobiographie émouvante, celle de Jean-François Van Horebeek qui raconte son incroyable parcours de vie. Depuis une enfance « inconcevable » dans la ferme familiale à son métier de mécanicien aéronautique, il livre un témoignage poignant sur sa vision du monde.