Mukhtar Ablyazov et l’Open Dialogue Foundation (ODF) ne sont pas inconnus des lecteurs de Pan. Le 30 mars 2022, notre journal consacrait un article au soutien inconditionnel que l’honorable Guy Verhofstadt leur avait apporté dans les couloirs du Parlement européen (« Guy Verhofstadt défend une sulfureuse ASBL pro-Russe », PAN, 30 mars 2022). Nous écrivions alors : « A Varsovie, on chuchote, dans les milieux bien informés, que l’ODF serait une « couverture » des services de renseignement russes ». 

Seize mois plus tard, les choses n’ont guère bougé à Bruxelles (du point de vue politico-judiciaire, s’entend), mais elles ont nettement progressé à… Kiev. Et l’Ukraine bénéficiant de tout le soutien de l’UE, de l’Otan et de donc de la Belgique, il va devenir difficile de continuer à fermer les yeux. Même si notre plat pays est particulièrement doué pour cet exercice.  

Un oligarque poursuivi pour un détournement colossal

Mukhtar Ablyazov n’est pourtant pas n’importe qui. Cet ancien banquier kazakh a détourné entre 6 et 9 milliards de dollars alors qu’il dirigeait la banque BTA, dans son pays d’origine. Pour ces faits il a été condamné au Kazakhstan mais également au Royaume-Uni ou des biens immobiliers lui appartenant ont été saisis et des sommes importantes présentes sur ses comptes en banque saisis. 

Installé en France, il y a été le principal acteur d’une véritable saga politico-judiciaire qui a vu Paris l’emprisonner (en vue de l’extrader vers la Russie ou le Kazakhstan) plusieurs années avant de lui accorder le statut de réfugié politique (au mépris total du « système de Dublin » qui veut que le candidat réfugié fasse sa demande dans le premier pays sûr dans lequel il arrive, en l’occurrence, pour Ablyazov, le Royaume-Uni) puis d’ouvrir  une instruction contre lui des chefs de détournement de fonds et de blanchiment (toujours pour l’affaire de la BTA et, finalement, de lui retirer son statut de réfugié au motif qu’il n’était pas, comme il le prétend, un opposant politique au régime kazakh mais bien un escroc en fuite. La décision a, depuis, été confirmée, et aucun recours n’est plus possible. Ablyazov se trouve donc désormais dans une position inédite : d’une part, sous instruction judiciaire, il fait l’objet de mesures de contrôle qui lui interdissent de quitter le territoire français, mais d’autre part, son statut de réfugié étant définitivement refusé, il ne peut y rester. Une véritable saga, on vous l’a dit !

C’est en ce moment où il doit se sentir bien seul que notre homme aurait été informé que les autorités ukrainiennes avaient ouvert une autre enquête à son encontre, cette fois pour avoir « aidé la Russie » dans sa guerre contre Kiev. Il l’a d’ailleurs annoncé lui-même sur sa page Facebook, le 6 juillet dernier. 

Au passage, il nous apprend que l’ODF et sa directrice, Lyudmila Kozlovskaya (une résidente belge), font l’objet de la même enquête. L’ODF, rappelons-le, a consacré une énergie considérable, depuis des années, à la défense d’Ablyazov, victime selon elle d’injustes persécutions politiques. 

Sur Facebook, donc, Ablyazov se déchaine et affirme qu’il n’a jamais soutenu Moscou, que ni l’ODF ni madame Kozlovskaya ne sont « des agents du Kremlin » et qu’il n’a, d’ailleurs, rien à voir avec le fonctionnement de cette association que certains l’accusent portant  (de longue date) de financer secrètement. 

Reste que nous sommes en mesure d’apporter de nouveaux éléments au dossier. 

Copyright : La patronne de l’ODF et l’une de ses collaboratrices signalées au Conseil de l’Europe

Au service de Moscou ? 

Un vent favorable nous a fait parvenir une lettre envoyée le 26 octobre dernier par Mariia Mezentseva, présidente de la délégation ukrainienne à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (PACE) à la secrétaire générale de cette institution au-dessus de tout soupçon.  La parlementaire ukrainienne y accuse noir sur blanc Lyudmila Kozlovskaya d’être l’objet d’une enquête pour « trahison et financement du terrorisme » à Kiev et sous-entend assez lourdement qu’elle pourrait « travailler pour les services spéciaux russes » et être impliquée dans des activités de blanchiment d’argent (probablement dans le cadre de ces activités pro-russes). 

Elle rappelle au passage que le frère de madame Kozlovskaya (qui serait aussi l’un des financiers de l’ODF) est propriétaire d’une entreprise « Mayak », installée en Crimée (illégalement occupée par la Russie depuis 2014) et que Mayak serait un fournisseur de la marine de guerre russe à Sébastopol. Elle demande enfin que le secrétariat général de PACE informe les autorités françaises de ces faits.

Une semaine plus tard, le 31 octobre, c’est le président du groupe des Conservateurs européens et de l’Alliance Démocratique à PACE (ECDA), Ian Liddel-Grainger qui accusait la directrice de l’ODF de comportement inappropriés (en l’occurrence le harcèlement de députés) et de « violations répétées de la sécurité et des règles de procédures ».  Ce courrier est également en notre possession.

Bref, contrairement à ce qu’affirme Ablyazov, les enquêtes et les soupçons touchant Lyudmila Kozlovskaya et l’ODF ne sont pas tellement récentes. Bien entendu, des accusations et même une enquête ne préjugent en rien de la culpabilité de ceux qu’elles visent, mais peut-être serait-il temps de faire la lumière sur une affaire de plus en plus trouble. 

Au vu de ce qui précède, on pourrait penser qu’il serait du plus haut intérêt qu’une enquête officielle détermine si oui ou non, l’ODF et sa présidente sont liés à la Russie. Il y va, quand même, de la crédibilité de la capitale européenne qui est également le siège de l’Otan. Peut-être, cette fois, PAN ser-t-il entendu ? On peut toujours rêver… 

Restez connectés. Affaire à suivre sous peu … 

Paul Ymépatraux

Note de la rédaction : A l’exception de Mukhtar Ablyazov, condamné à plusieurs reprises, et de Pier-Antonio Panzeri, en aveux de corruption, toutes les personnes citées dans cette enquête sont actuellement présumées innocentes