Augustin Mouchot naquit le 7 avril 1825 à Semur-en-Auxois (Côte-d'Or), à l’endroit le plus éloigné de la lumière, dans l’arrière-salle d’un atelier de serrurerie, lui qui devait inventer l’application industrielle de la chaleur solaire. Personne ne remarqua véritablement sa naissance. À six mois, Mouchot était déjà épuisé de vivre. Il n’avait pas la rondeur bouffie des nourrissons en bonne santé ni l’éclat inattendu des prédestinés, mais toujours à quelques minutes d’une apoplexie, tout fripé et décharné, comme un crapaud malade dont la couleur de la peau, même nourrie au lait épais des vaches de Montbard, gardait encore l’aspect d’une auge de pierre. Il n’ouvrit les yeux qu’au bout du cinquième mois et sa mère, avec une muette inquiétude, remarqua qu’il ne distinguait rien à plus de dix centimètres.

Non ! Ces lignes ne sont pas tirées du roman « Le Parfum » de Patrick Suskind. Mais bien du nouvel opus de Miguel Bonnefoy. L’auteur nous décrit un Mouchot grandissant péniblement, maintenu en veille, reclus en lui-même, comme une goutte d’eau cachée dans le cœur d’une agate.

Extrait : Des taillis baroques, entourés de chênes majestueux, divisaient la campagne en architectures végétales et, près du château, on voyait, çà et là, des murs d'enceinte parfois troués de coups de canon, comme les vestiges héroïques d'un domaine conquis de haute lutte. Il était midi. Mouchot nettoyait ses miroirs, quand soudain Napoléon III fit son entrée en calèche. La voiture, tirée par six chevaux, capiton- née de satin, s'arrêta devant le parvis et l'empereur, précédé par un domestique, appuyé sur le rebord de la portière, descendit lentement. On disait qu'il revenait tout juste de l'ermitage de Villeneuve- l'Étang, où il avait fait une retraite solitaire avec ses dossiers. Il s'avança vers un groupe d'hommes en tuniques bleues qui se raidirent immédiatement, et Mouchot l'aperçut. Ses épaules étaient couvertes d'un habit mate- lassé à la poitrine, à basques brodées de feuilles d'aubépine. Il était vêtu d'un pantalon garance dont le pli cachait la botte et tenait un bicorne à la main. Mais à la place d'un empereur majestueux, portant la moustache la plus célèbre d'Europe, il vit paraître un vieillard mafflu, fatigué par le pou- voir, miné par les malheurs, une canne à la main, accompagné d'un chien saturnien offert par l'un de ses chambellans.

Comme tout persévérant, il choisit une voie, une trajectoire, une seule idée… Il s’obstina à creuser son esprit, profondément, jusqu’à trouver un trésor. Il était un homme de l’ombre tourné vers le soleil au milieu d’un siècle lumineux tourné vers le charbon.

- Le soleil est l’avenir, exprima-t-il au proviseur du lycée qui l’employait comme professeur.

Ce dernier, resté muet, observait cet être court sur pattes, maladroit dans ses gestes, le regard obstiné, dont l’expression du visage, vaporeuse et déformée, lui donnait l’aspect d’un noyé au fond d’un lac.

En excellent conteur, Miguel Bonnefoy nous fait mesurer toute la distance vertigineuse qui unit le savant à cet astre. Cette puissance, venue d’une autre planète, le liait tout à coup à cette poésie du vivant. Mouchot fixait le soleil, et tout cela lui paraissait un dialogue biblique. 

« Sur le sommet du djebel Chélia, happé par les constellations scintillantes, il sentit ses rétines brûler, tel un bucher ardent, comme si ses yeux avaient absorbé tous les rayons du ciel. »

Comme Icare au-dessus du labyrinthe, Augustin Mouchot s’était brûlé les ailes.

Mais il savait, avant de monter, qu’il était destiné à tomber.

Nourri d’une impressionnante maîtrise de son sujet, Miguel Bonnefoy nous plonge avec délices dans le monde de son héros, ce savant méconnu et pourtant visionnaire. 

Un régal !

L’inventeur – Miguel Bonnefoy – Éditions Rivages – 2022 – ISBN 9782743657031