En 2000, Dyab Abou Jahjah fondait à Anvers l’Arab European League (AEL) afin de « promouvoir et défendre les intérêts des communautés immigrées arabes et islamiques en Europe, et d’établir avec les autres une interaction positive basée sur le respect mutuel et la tolérance ». Derrière cette déclaration de principes, se cache un mouvement extrémiste inspiré par le panarabisme et qui, dans une ville où un électeur sur trois vote pour l’extrême-droite, tentera de fédérer les jeunes arabo-musulmans en rupture avec la société. L’AEL, qui joue résolument la carte de la communautarisation – l’instauration de l’arabe comme langue nationale compte parmi ses revendications –, sera à l’origine des cortèges les plus antisionistes et antisémites qu’ait connu la Belgique depuis le début de la seconde Intifada.

Abou Jahjah s’est fait connaître du grand public en avril 2002, à la suite d’une manifestation propalestinienne organisée par l’AEL. Ce jour-là, des « Mort aux Juifs » fuseront du cortège et des vitrines de diamantaires juifs seront brisées par une horde de manifestants déchaînés. Deux mois plus tard, c’est aux cris de « Hamas » et « Hezbollah » que les manifestants de l’AEL défileront à Anvers en brûlant, sous les vivats de la foule, l’effigie d’un Juif religieux.

Né au Liban en 1971 d’un père chiite et d’une mère maronite, Abou Jahjah vit en Belgique depuis 1991. À son arrivée, il déclarait au Commissariat belge des réfugiés avoir activement pris part, trois années durant, aux opérations du Hezbollah, jusqu’à ce qu’une dispute avec le chef de l’organisation terroriste, le Cheikh Nasrallah, ne le contraigne à s’exiler en Belgique. Installé aujourd’hui à Anvers, il continuera, à travers l’AEL, à militer à partir de la métropole flamande puisque, d’après lui, « Anvers est le bastion du sionisme, et c’est pourquoi cette ville doit devenir la Mecque de l’action propalestinienne ».

Le site Internet de l’AEL sera le porte-voix d’Abou Jahjah. On y lira par exemple qu’Anvers est « une ville où les gangs pro-Sharon de fanatiques sionistes dictent la loi », une ville dont « le pouvoir est dans les mains du lobby sioniste ». Le site prônera également la fin de l’État d’Israël, qualifié de « régime sioniste d’Apartheid (…) bâti sur le génocide et le nettoyage ethnique ». En décembre 2002, Ahmed Azzuz, président de la section belge de l’organisation, entérinait la position de l’AEL à l’égard de l’Etat hébreu: « Nous ne reconnaissons pas Israël ! Cet Etat n’existe pas pour nous ! ». Sur les Juifs, il ajoutera: « Je ne reconnais pas Israël! Donc ce peuple non plus. Donc ils n’existent pas! ».

Les ambitions d’Abou Jahjah ne se limiteront pas au microcosme anversois. En 2003, il s’engageait, sans grand succès, dans l’arène politique belge, à la tête d’un parti créé pour l’occasion avec un transfuge du parti écologiste flamand et des militants trotskistes et maoïstes. Parallèlement, il œuvrera pour donner à l’AEL une dimension européenne. Ainsi, Abou Jahjah inaugurait en 2003 la section hollandaise de l’association panarabe et travaille actuellement à l’établissement d’antennes en France et en Angleterre. Laissant augurer des activités de l’AEL dans l’Hexagone et outre-Manche, on verra d’emblée les militants de la section batave scander des slogans antisémites et bouter le feu à un drapeau israélien lors d’une cérémonie qui commémorait la fin de l’occupation nazie aux Pays-Bas. Le porte-parole local de l’AEL, Naïma Elmaslouhi, n’hésitera pas à déclarer dans un quotidien néerlandais: « Le slogan ‘Hamas, Hamas, Hamas, les juifs au gaz’ n’est pas porteur, mais je ne le condamne pas… »

Cyniques, Abou Jahjah et ses comparses se plaisent à jouer des failles du système démocratique. Là où le bât blesse, c’est qu’ils sortiront à plusieurs reprises du cadre de la loi belge réprimant l’antisémitisme, sans pour autant provoquer la levée de boucliers que l’on est en droit d’attendre d’une démocratie alerte. Mia Doornaert, journaliste pour l’un des principaux quotidiens flamands, sera l’une des rares dans la profession à s’ériger contre l’apathie des autorités belges: « Quand il [Abou Jahjah] diabolise les ‘juifs’ et le ‘lobby sioniste’, les rendant responsables de tous les malheurs des musulmans, personne ne réagit. L’antisémitisme est-il un racisme politiquement correct ? ».

Joël Rubinfeld
Président de la Ligue belge contre l'antisémitisme
(Publié sur X/ex Twitter)

Les habits neufs de l'antisémitisme en Europe (Éditions Café Noir, 2004)