L’article se focalise sur le calcul du coût de production d’électricité à la borne d’une installation (sortie de la centrale ou de l’éolienne ou du panneau photovoltaïque), appelé LCOE (Levelized Cost of Electricity - en jargon anglophone). Il met en avant les échecs économico-financiers (réels) des EPRs européens et de l’AP1000 construit aux USA (la Chine a fait beaucoup mieux, et donc ce n’est pas une fatalité technologique). Les leçons devront en être tirées à tous les niveaux car les responsabilités sont partagées - politiques, industrielles et régulatoires. L’article mentionne aussi que le coût en capital des EPR2 a été revu à la hausse par EDF, passant à 66 Milliards pour 6 réacteurs (de 1700 MWe chacun), et que le LCOE estimé par RTE pour ces réacteurs utilise un taux d’actualisation de 4%. Tout ceci est vrai, peut se discuter entre spécialistes, mais la façon dont cela est présenté amène le lecteur non averti à conclure que le nucléaire futur ne sera pas compétitif et qu’il faut donc tout miser sur le renouvelable, slogan Ecolo bien connu, encore répété ad nauseam ces derniers jours en campagne électorale. 

Et c’est bien là que le bât blesse, car l’article pèche par omission, d’une part, en n’insistant pas suffisamment sur les autres coûts dits de « système » et, d’autre part, sur les grandes inconnues en termes de faisabilité technique et économique d’un déploiement important des moyens intermittents que sont le solaire et l’éolien… à moins de revenir à la chandelle de manière récurrente. 

Pour corriger cette omission, on peut d’abord rappeler la situation d’aujourd’hui

L’Energiewende à l’Allemande est un échec total 

En 2022, l’Allemagne, qui est sortie du nucléaire, a produit 250 TWh (45% de sa consommation totale) avec un parc renouvelable de 150 GWe, comparé à la France qui a produit 300 TWh (55% de sa consommation) avec un parc nucléaire de 60 GWe. En gros c’est équivalent mais avec trois fois moins de capacités installées. Pour parvenir à ce résultat, l’ Allemagne a investi 500 Milliards d’Euros sur 20 ans (2005-2025) en subsides au renouvelable et 150 Milliards supplémentaires pour un début d’adaptation du réseau électrique à ce renouvelable. La Cour des Comptes allemande vient de publier un rapport estimant à 450 Milliards additionnels le coût du réseau pour les 20 années à venir (2025-2045) – en tout cela fera donc 1100 Milliards pour une période de 20 ans. On comparera cela au coût du grand carénage du nucléaire existant en France qui sera de 50 Milliards pour une durée de vie supplémentaire de 20 ans aussi. Et, cerise sur le gâteau, l’empreinte carbone de la production électrique en Allemagne en 2022 a été de 385 g CO2/kWh contre 85 en France. 

En conclusion, l’Energiewende à l’Allemande est un échec total. C’est pourtant l’exemple que l’Union Européenne et la Belgique ont suivi depuis quelques années, sortant du nucléaire, poussant le renouvelable et investissant dans le fossile… en attendant que les rêves alternatifs de compensation de l’intermittence se concrétisent... Cherchez l’erreur… La Libre Eco pourrait se pencher sur la question… 

Prendre en considération les coûts « système »

On objectera que tout ceci est vrai pour le nucléaire existant et que cela ne vaut pas pour le nucléaire futur. C’est ici qu’il faut introduire les coûts « système ». En effet il ne suffit pas de s’arrêter à la borne des installations. Il faut aussi prendre en compte les coûts « système » induits par un mode de production. Pour les renouvelables, cela couvre les coûts de gestion de l’intermittence - en termes de stabilité de réseau, de remplacement de la production par d’autres moyens quand le vent et le soleil ne sont pas au rendez-vous, etc.… auxquels il faut rajouter les coûts d’adaptation nécessaire des réseaux de transport et de distribution pour être à même d’intégrer les productions renouvelables.

Des études de l’OECD et du MIT analysant l’optimum économique du « système » électrique montrent qu’aller au-delà d’une pénétration de l’ordre de 30 à 40% d’énergie renouvelable intermittente n’est plus économique, et que cela le devient de moins en moins plus on décarbone et plus la pénétration du renouvelable intermittent est importante. De plus ces études n’intègrent pas les coûts d’adaptation du réseau, dont on perçoit les montants astronomiques dans les analyses de la Cour des Comptes allemande mentionnés ci-dessus.

On pourra ajouter que si des incertitudes existent quant aux estimations pour les coûts en capital des EPR2 et autre AP1000, que dire des incertitudes techniques et économiques des moyens magiques supposés venir en soutien à l’intermittence des renouvelables, que ce soit les batteries, la capture et stockage du carbone, l’hydrogène vert, etc… sans même parler du facteur quatre pour le coût de panneaux photovoltaïques à fabriquer en Europe plutôt qu’en Chine, et des difficultés que rencontrent les vendeurs d’éoliennes européens ayant accepté des contrats ne leur permettant pas d’être rentables. 

Tout ceci démontre que même si le vent et le soleil sont gratuits, aller chercher et distribuer leur potentiel de manière économique et fiable est très loin d’être la solution merveilleuse que nous promettent les écolos.

 

En résumé, il ne faut pas réfléchir en terme « nucléaire contre renouvelables » comme le fait Michel Allé, mais en termes d’optimum économique et de fiabilité du système électrique, pour une durabilité sociétale. En faisant cela de manière correcte, on arrive à la conclusion que le nucléaire devra avoir une place prépondérante dans le mix électrique décarboné du futur

D’autant plus qu’investir aujourd’hui dans une centrale nucléaire, même si cela est « cher », qui aura une durée de vie de 60 à 80 ans, et qui sera « remboursée » en 30 ans, c’est faire un cadeau énorme aux générations futures qui profiteront d’une électricité peu chère… comme nous aurions pu le faire si la bêtise politique n’avait pas amené la Belgique à sortir du nucléaire, comme l’Allemagne. Vu sous cet aspect, le nucléaire n’est pas un passif négatif à gérer, mais un bien commun porteur d’avenir (*)                                                                                            

Marc Deffrennes

Ingénieur civil, retraité de la Commission Européenne et de l'OCDE

(*) Et qu’on ne revienne pas ici nous bassiner avec le « passif » des déchets nucléaires que l’on laisse aux générations futures. Les solutions techniques existent (voir la Finlande) à des coûts tout à fait acceptables (rappelons les 15 milliards transférés à la Belgique par ENGIE – pour la gestion de combustibles usés venant de 50 ans de fonctionnement des centrales qui ont produit 50% de toute l’électricité consommée en Belgique durant cette période… cela ne fait pas cher le déchet au kWh… Le problème est donc la perception que le public non averti en a… sur laquelle les écolos jouent très bien à faire peur…