L’utopie de l’UE en matière de décarbonation sera-t-elle abandonnée lors des élections du 9 juin ? À elle seule, l’Inde rendra vains tous nos efforts de décarbonation. Le Premier ministre indien veut faire de son pays un leader grâce à l’utilisation d’une énergie abondante et bon marché, et tant pis si les émissions de CO2 augmentent. Au cours des dix dernières années, Narendra Modi a mis en œuvre des réformes structurelles qui poussent l’Inde vers une croissance pérenne. Grâce à cela, il est probable que les 800 millions d’Indiens l’élisent à nouveau lors du scrutin qui commence aujourd’hui et se terminera lui aussi le 9 juin.

L’utopie de l’hydrogène… chez les internautes

Sur LinkedIn, j’ai trouvé des commentaires élogieux sur un bus en Inde qui fonctionne avec une pile à combustible alimentée par de l’hydrogène vert. Le premier bus à hydrogène vert de l’Inde, dévoilé lors de la deuxième semaine indienne de l’énergie, est proposé par Indian Oil Corporation Limited, en partenariat avec Tata Motors. Le passionné qui a posté l’information a déclaré que « l’Inde ne cesse de repousser les limites ». Oui, mais pas celles qu’il pense. C’est en fait l’inverse, car il n’y a pas d’innovation dans ce bus à hydrogène. Bien sûr, s’ils n’ont jamais entendu parler de ce que l’UE a fait dans ce domaine au cours du dernier quart de siècle, les ignorants pensent que leur pays est le premier. En 2003, le Belge Philippe Busquin, alors qu’il était commissaire européen à la recherche, a inauguré un projet de bus à hydrogène, notamment à Madrid, dans le cadre du programme Cordis. Mais que voulez-vous, chacun essaie d’inventer l’eau chaude en pensant que les autres sont idiots, ce qui est possible avec des subventions publiques (voir mon livre L’utopie hydrogène).

L’Inde peut-elle se permettre d’utiliser l’hydrogène pour la mobilité alors que le pays vient à peine d’atteindre presque 100 % d’électrification ? C’est un gaspillage d’argent, étant donné que 76 % de la production d’électricité de l’Inde dépend du charbon. Malgré le fait que le pays soit désormais entièrement électrifié, il connaît parfois des pénuries d’électricité, entraînant des coupures de courant itinérantes. Mais ce projet d’hydrogène est-il soutenu par le gouvernement, puisqu’il fait le contraire ?

Vive le charbon indien et l’Aatmanirbharta 

En effet, pour permettre un taux de croissance parfois même supérieur à 7 %, l’Inde augmente sa consommation de charbon. Le 9 avril, Narendra Modi, son Premier ministre, a posté un tweet sur X qui a dû mettre en colère les défenseurs du climat. « Un exploit remarquable ! Le franchissement d’un milliard de tonnes dans la production de charbon et de lignite marque une étape historique pour l’Inde, reflétant notre engagement à assurer un secteur charbonnier dynamique. Cela permet également à l’Inde de progresser vers l’Aatmanirbharta dans un secteur vital ». Que l’Inde se vante d’utiliser plus de charbon n’est pas une surprise, mais ce mot étrange l’était pour moi : Aatmanirbharta ! 

C’est un mot indien qui évoque la résilience, l’autonomie. Le projet Atmanirbhar Bharat Abhiyaan soutient la vision du Premier ministre pour l’autosuffisance de l’Inde. Il l’a lancé le 12 mai 2020, avec un budget équivalent à 10 % du PIB. L’objectif initial était de lutter contre la pandémie Covid, mais le projet est ensuite devenu l’objectif de rendre le pays et ses citoyens indépendants et autonomes dans tous les sens du terme. Aatmanirbharta est devenu synonyme d’Inde autonome. Ce projet entend permettre à l’Inde de jouer un rôle important dans l’économie mondiale en étant plus efficace et plus résiliente.

Cet objectif ne peut être atteint qu’en utilisant beaucoup plus d’énergie ; le pays va donc privilégier une énergie abondante et bon marché, et dans leur cas, il s’agit du charbon. En 2022, l’Inde a émis 2,6 milliards de tonnes de CO2 (GtCO2/an) et l’UE 2,7 Gt, mais pour une population trois fois moins importante. Comme je le montre dans mon dernier livre, « Énergie, mensonges d’État » (L’Artilleur), si l’Inde continue de croître au même rythme moyen que ces dernières années, elle atteindra 5,2 Gt CO2/an en 2050, mais si elle atteint les niveaux actuels d’émissions par habitant de l’UE et que, ce qui est peu probable, la population indienne reste stable à 1,3 milliard d’habitants, elle émettra 7,5 Gt CO2. Qu’il s’agisse de 5 ou 7 GtCO2/an
- mais probablement plus si la démographie continue de croître - le message clé est que l’Inde à elle seule annulera plusieurs fois tous les efforts coûteux et douloureux de l’UE en matière de décarbonation.

Pour illustrer avec actualité le fossé qui s’est creusé entre la politique énergétique de l’Inde et celle de l’UE, le ministre allemand des Transports, Volker Wissing, a menacé d’imposer des interdictions de circuler le week-end pendant l’été afin de se conformer à la législation sur la protection du climat. Le pauvre Wissing, bien qu’il soit membre du parti libéral-démocrate favorable aux entreprises, fait ce qu’il peut, car selon la loi allemande actuelle sur la protection du climat, le ministère responsable d’un secteur peu performant doit lancer un programme immédiat pour les remettre sur la bonne voie. Pendant ce temps, Modi s’est engagé à faire de l’Inde une plaque tournante de l’aviation en investissant 12 milliards de dollars pour faire passer le nombre d’aéroports de 148 à 220 d’ici 2025 (voir PAN n° 4082 du 5 avril 2023). À titre de comparaison, l’UE compte 200 aéroports commerciaux. Parole d’Aatma nirbharta : l’Inde va se développer, son industrie aéronautique va se développer, ses émissions de CO2 vont exploser.

Rendez-vous le 9 juin pour ma confirmation de la poursuite de croissance de l’Inde, et constater si les Européens auront compris que le Pacte vert doit être abandonné.