Autoproclamé « représentant de la banlieue », curieusement choisi comme conseiller politique, le personnage entretient la fracture, la coupure, la sécession. Il y a « les Blancs et il y a les autres ». Il s’y roule, c’est son jus, c’est son fond.

Lundi 28 octobre, Emmanuel Macron s’est rendu au Maroc pour une visite d’Etat de trois jours. Sur le tapis rouge, entre le président de la République et le roi Mohammed VI, Yassine Belattar (42 ans). Le pseudo humoriste ne figure pourtant pas sur le dossier de presse officiel de l’Élysée et son pedigree est pour le moins sulfureux.  Mais pourquoi Diable la société française doit-elle tolérer ce nébuleux conseiller? 

Faux clown et vrai danger

Né le 27 juin 1982 de parents marocains, Yassine Belattar acquiert la nationalité française par l’effet collectif attaché à la naturalisation de son père. Il se lance dans le stand up vers le milieu des années 2000, après s’être fait connaître comme chroniqueur radio. En 2017, il est le premier « humoriste » à faire un spectacle au Bataclan, depuis les attentats terroristes de 2015. François Hollande assiste au spectacle « Je ne suis pas Charlie » et les médias de gauche titre fièrement : « Yassine Belattar fait revivre le rire au Bataclan » (sic !). Bémol : « Je fais allumer la salle car si ça tire je veux savoir d’où ça vient et sur qui, chrétiens, juifs, arabes ? », lance-t-il devant une salle hébétée. Rapidement, ses prises de positions sur l’islam lui valent de voir plusieurs de ses représentations annulées. Entretemps, il a racheté le Jockey-Club, un bar-PMU à Sevran. Accusé dans un reportage de France 2 - sur l’accès des femmes à l’espace public - de ne pas y accueillir la gent féminine, ce qui démontre pour les journalistes derrière la caméra une radicalisation des banlieues, il le revend en catimini début 2019. A partir de là, son nom revient partout et tout le temps.

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Le fou du Roi

Pour avoir fait un discours devant le Comité contre l’islamophobie en France (CCIF) en 2015, le Printemps républicain l’accuse d’avoir un « fort penchant communautariste ». En 2017, il menace ouvertement Jean-Michel Blanquer, alors ministre de l’Éducation nationale en déclarant : « si j’étais lui, j’éviterais de mettre les pieds dans le 93 ! ». Régulièrement invités sur BeurFM, impliqué dans le Bondy Blog, un média militant et vindicatif, réputé pour sa proximité avec les milieux islamistes, mais aussi pour ses accès de violence et ses dérapages antisémites, l’homme est pourtant nommé en mars 2018, par Emmanuel Macron, au Conseil présidentiel des villes, ce qui suscitera l’ire de Manuel Valls, qui voit dans cette nomination
« une faute, un signe de faiblesse ». Pourtant, l’Élysée y tient : « son parcours est représentatif de celles et ceux qui ont travaillé pour s’en sortir. C’est une voix parmi d’autres ». En octobre 2019, Yassine Belattar démissionne de l’institution à la suite d’une polémique concernant le port du voile par les accompagnatrices scolaires. Dans une lettre adressée au Président, il précise : « je ne puis siéger dans une institution qui voit les humiliations que subissent les habitants des quartiers non pas pour l’endroit d’où ils viennent, mais bien pour ce qu’ils sont tout simplement ».

Un chantre du refus de l’assimilation

Le 28 mars 2019, Belattar est mis en examen pour « menaces de mort, menaces de crimes réitérés, envois de messages malveillants et harcèlement moral ». Il s’en est notamment pris à Caroline Fourest, Sophia Aram, Bruno Gaccio et Kevin Razzy, à qui il aurait affirmé : « je vais te planter et violer ta mère ». L’homme, qui passe 48 heures en garde à vue, prétend que ce ne sont que des ragots. Et pourtant, en septembre 2023, il est condamné à quatre mois d’emprisonnement avec sursis pour ces faits. Soulignons aussi que, toujours en 2019, Belattar se produit en spectacle à Bruxelles. Selon le site Courrier du Rif, il y profère des propos offensifs envers la communauté rifaine. La réaction ne s’est pas fait attendre. Belattar menace la plateforme d’information d’un dépôt de plainte pour diffamation. S’ensuit une forte mobilisation sur les réseaux sociaux. Belattar affirmera avoir reçu plus de 7800 messages négatifs à la suite de son sketch controversé qui « ne fait pas rire du tout Molenbeek et exacerbe les tensions ».

Autoproclamé « représentant de la banlieue », curieusement choisi comme « témoin » très politique dans plusieurs émissions de grande écoute, le personnage entretient la fracture, la coupure, la sécession. Il y a « les Blancs et il y a les autres ». Il s’y roule, c’est son jus, c’est son fond. Dans la lumière médiatique, Yassine Belattar surgit et rugit, emballant le déni de réalité :
« Les actes terroristes sont des faits isolés. Il n’y a pas d’islam politique en France ! »

Ce que ses mots disent (ou ne disent pas) 

Masquant difficilement son agacement, Emmanuel Macron a tenté d’échapper aux nombreuses questions des journalistes sur la présence de Belattar au Maroc : « Je ne ferai aucune remarque sur des choses qui n’ont aucun intérêt et qui sont très anecdotiques ». Vous avez dit « anecdotique » ?
Invité de la chaîne i24news, Hassen Chalghoumi, l’imam de Drancy, sera plus loquace. « Yassine Belattar est un homme dangereux. Plus dangereux que Dieudonné. Cet individu incarne la haine. Il est le gardien de ces idées archaïques, dangereuses, antisémites. Avec un discours victimaire, il emporte le conflit israélo-palestinienne vers les banlieues, vers la jeunesse. Ramener un homme comme lui, c’est une insulte au Maroc, à la France ». Au lendemain du 7 octobre, de nombreux commentateurs s’étaient déjà inquiété de son influence délétère sur le président de la République, alors que l’individu avait convaincu le chef de l’Etat de ne pas participer à la marche contre l’antisémitisme. 

Artiste Maure Vivant

Malgré les polémiques à répétition, Emmanuel Macron n’a jamais coupé les ponts avec Belattar, qu’il a rencontré durant sa première présidentielle en 2017. « Si j’ai été sollicité pour aller au Maroc, c’est que je cochais les bonnes cases. Si on laisse l’extrême droite choisir les invités… », prétend le principal intéressé. En vérité, selon certaines rumeurs, il y aurait, au sein des ministères et à l’Élysée, une « crainte de la rue arabe ». Or, Belattar est un « capteur de banlieues » et Macron s’est toujours piqué d’être populaire dans les quartiers chauds. La présence de Belattar à Rabat n’est donc pas innocente. Et le fait que le franco-marocain ait l’oreille du Président pourrait expliquer certaines de ses positions ambiguës sur de nombreux sujets, comme celui du Moyen-Orient.

Sur Instagram, le pseudo de Belattar est « Artiste Maure Vivant ». Un petit détour par l’Histoire s’impose pour comprendre ce choix qui est loin d’être innocent. En 732, un siècle exactement après la mort de Mahomet, l’islam s’est répandu comme une traînée de poudre dans le bassin méditerranéen. Charles, le chef des Francs du nord de la Loire, décide alors d’arrêter les troupes arabo-musulmanes, qui progressent vers Poitiers. Après six jours d’intenses combats, il repousse les Maures et gagne le nom de « Martel »,
celui qui frappe comme un marteau d’armes. Abd al-Rahman al-Ghafiqi sera sanctionné pour son incursion en Gaule. Il mourra au combat. En étant relue à la lumière de l’actualité, la bataille de Poitiers n’a pas définitivement repoussé une invasion, mais simplement arrêté un raid. Pour Belattar, les habitudes bien vivantes venant de l’étranger doivent supplanter celles de la France. Lorsqu’il dit « nous », il pense aux Français musulmans. Lorsqu’il dit « eux », il pense aux chrétiens. Pour lui, il y a les « Arabes » et il y a les « Occidentaux ». « Je n’aurai jamais de béret et de baguette », affirme-t-il haut et fort. Prenez « dattes » …