Pour la première fois, une véritable confrontation entre la gauche et la droite a lieu au Parlement européen. On s’attendait à des difficultés, annoncées par la gauche qui s’insurge contre le candidat italien du gouvernement Meloni. Toutefois, la catastrophe de Valence vient changer la donne. Ambiance.
En 2004, pour la première fois, le Parlement européen a refusé de nommer un commissaire proposé. Rocco Buttiglione, proposé par le gouvernement Berlusconi, avait fait l’objet de vives critiques après avoir déclaré : « En tant que catholique, je considère l’homosexualité comme un péché, mais pas comme un crime ». Cet épisode a marqué un tournant dans le processus de nomination des commissaires européens et a démontré le pouvoir croissant du Parlement européen dans le contrôle de la composition de la Commission. En 2019, Sylvie Goulard, proposée par Emmanuel Macron, a été recalée en raison des doutes exprimés sur son intégrité et son indépendance. À part quelques autres cas, il faut bien admettre que l’exercice des auditions n’intéresse que les lobbyistes. Les commissaires désignés se préparent à répondre aux questions avec l’aide des fonctionnaires de la Commission européenne de manière à donner des réponses politiquement correctes aux questions banales des députés qui croient jouer aux inquisiteurs. On vient de le voir avec le commissaire danois, Dan Jørgensen, connu pour son antinucléarisme forcené, mais qui a su se montrer conciliant en disant que les États membres sont libres de développer cette énergie. L’opposition à cet écologiste, qui sera responsable de l’énergie, a fait fiasco.
Socialistes et écolos contre populaires et droites
Mais une bataille plus sérieuse a surgi de manière imprévue. On savait depuis longtemps que le Premier ministre espagnol poussait fortement sa ministre de l’Écologie, l’ultraverte Teresa Ribera. Pour avoir l’appui du parti socialiste espagnol et, au-delà, de tout le parti socialiste européen, Ursula von der Leyen s’est exécutée pour la placer non seulement en charge du changement climatique, mais aussi à l’un des quatre postes de vice-présidente. Toute la droite espagnole enrage, tant cette femme est détestée par une partie des Espagnols.
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L’autre sujet de discorde est la nomination de l’Italien Raffaele Fitto, membre du gouvernement de Giorgia Meloni. La gauche entend prendre sa revanche sur les Italiens qui ont eu l’outrecuidance de choisir une personne de droite pour diriger leur gouvernement (voir PAN du 15 février 2022). Même le Parti démocrate italien (de gauche) s’oppose à lui, et notamment à sa nomination comme vice-président. Du jamais vu : un groupe qui s’oppose avec véhémence à la nomination d’un compatriote, au point que Meloni, en colère, s’est adressée à la gauche italienne : « Mesdames et Messieurs, voici la position du groupe des socialistes européens, au sein duquel la plus grande délégation est celle du PD d’Elly Schlein. L’Italie, selon eux, ne mérite pas d’avoir une vice-présidence de la Commission. Voilà vos représentants de gauche ».
Cependant, l’affaire a pris un tour nouveau à la suite de la catastrophe de Valence. Ursula von der Leyen a en effet rapidement affirmé que ce phénomène était dû au changement climatique. Si elle avait consulté ses fonctionnaires, ceux-ci lui auraient expliqué que ce n’était certainement pas vrai. En fait, il apparaît que la violente inondation est due à une succession de fautes humaines, administratives et politiques. Or, qui se trouve au niveau le plus haut de cette hiérarchie ? Teresa Ribera.
Le Parti populaire espagnol a trouvé là la revanche qu’il cherchait depuis des années, tant cette passionaria insupporte la droite espagnole. Elle doit à présent se soumettre à une enquête parlementaire dans son pays le 20 novembre, ce qui entraînera donc un retard dans les nominations des commissaires. Dans ces conditions, comment la nommer vice-présidente de la Commission européenne si elle devait être reconnue coupable ? Le Parti socialiste ne veut rien entendre et défend sa candidate verte.
El Turia déborde à Valence et frappe Bruxelles-Strasbourg
Ce combat politique entre la gauche et la droite vient frapper de plein fouet von der Leyen. Elle s’est rendue au Parlement européen pour essayer de trouver une solution miracle avec les chefs des partis de sa majorité (le populaire Manfred Weber, la socialiste Iratxe García Pérez et la centriste Valérie Hayer), mais cela s’est révélé inutile. De lourdes accusations ont été lancées entre socialistes et populaires. La présidente de la Commission est sur un siège éjectable. Le jeu des vetos croisés risque d’entraîner le chaos.
Puisque von der Leyen a échoué à imposer la paix, il faudra attendre ce que décidera le parlement espagnol ainsi que ce qu’en fera l’Allemand Manfred Weber, le président du Parti populaire européen (PPE) dont la section espagnole rêve de faire la peau à Ribera. Rappelons qu’en 2019, c’est Weber qui devait être président de la Commission si Emmanuel Macron ne s’y était pas opposé. Veut-il adopter l’adage que la vengeance est un plat qui se mange froid ? Son parti, la CDU, entre en campagne électorale dans un pays lacéré par la politique verte. Il craint l’AfD, un parti d’extrême droite qui a bien réussi lors des dernières élections régionales, d’autant plus que l’ouragan Trump est en route vers l’Europe. Il doit donc manœuvrer dans ce marécage. Va-t-il défendre l’indéfendable, c’est-à-dire laisser Teresa Ribera devenir vice-présidente de la Commission européenne malgré la catastrophe de Valence ? Aura-t-il le courage d’humilier Giorgia Meloni en laissant le Parlement voter contre Raffaele Fitto ? Dans cette saga, il me semble que tous les acteurs sont perdants, sauf Giorgia Meloni qui sort la tête haute, car elle n’a pas manigancé comme les autres et qu’elle est solidement en place.
La Bible relate l’histoire de Nabuchodonosor, un grand roi babylonien qui rêve d’une grande statue, impressionnante par la puissance qui s’en dégage. Puis, une toute petite pierre se détache de la montagne, acquiert de la vitesse et donc de la puissance, et frappe pour finalement renverser l’imposante statue. L’inondation de Valence joue-t-elle le rôle de la petite pierre dans l’échafaudage monté par von der Leyen ? Certains disent que l’option de Mario Draghi à la place de von der Leyen évoquée dans PAN du 10 mai 2024 refait surface.