L’Afrique du Sud a porté devant la Cour de Justice internationale l’accusation de génocide des Palestiniens à Gaza par l’armée israélienne. Alain Destexhe revient sur la genèse et la définition du mot génocide et démontre l’absurdité de la procédure en cours qui aurait dû être déclarée irrecevable.
Qu’est-ce qu’un génocide ? Inventé par le juriste Raphaël Lemkin en 1944 dans son livre Axis Rule in Occupied Europe pour décrire le destruction d’une nation ou d’un groupe ethnique, le terme, repris dans une Convention de l’ONU de 1948, est défini comme un crime commis dans l’intention de détruire un groupe national, ethnique ou religieux. Comme tout ce qui émane de l’ONU, il s’agit d’un compromis politique entre Etats. A l’époque, certains voulurent inclurent le génocide culturel, économique ou politique. Ironiquement, c’est l’URSS qui refusa car l’élargissement de la définition risquait de l’affaiblir si on pouvait l’appliquer à n’importe quel crime politique ! Staline parlait en connaisseur !
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Face aux descendants de communautés victimes qui veulent voir appliquer ce terme, synonyme de crime suprême, et à ce que certains appellent de cet affreux terme de « concurrence victimaire» ou encore de « concurrence des mémoires », c’est le défunt professeur Maxime Steinberg, spécialiste de la Shoah en Belgique qui avait le premier étudié les rafles de juifs à Anvers, qui m’a éclairé sur la singularité fondamentale d’un génocide.
Extermination des femmes et des enfants
Selon lui, ce qui caractérise un génocide, c’est l’extermination systématique des femmes et des enfants afin de détruire le groupe et de l’empêcher de se reproduire. Ce sont les Einsatzgruppen qui fusillent tous les juifs, hommes, femmes et enfants, dans les territoires de l’est de l’Europe occupés par les nazis. Ce sont les femmes et les enfants juifs déportés puis envoyés dans les chambres à gaz dès leur arrivée sur la rampe d’Auschwitz Birkenau, l’espérance de vie moyenne des hommes valides épargnés lors de la «sélection» n’étant que de deux mois. Ce sont encore, en 1994 au Rwanda, des femmes hutues enceintes de maris tutsis qui devaient mourir car les bébés qu’elles portaient étaient censés naître tutsi par leur père. La famille d’un opposant hutu assassiné par le régime Hutu Power était en général épargnée : assassinats politiques ciblés des opposants hutus d’un côté, génocide systématique des Tutsis de l’autre.
Trois génocides incontestables
De ce point de vue, il y a trois génocides incontestables dans l’histoire du XXème siècle. Celui des Arméniens, la Shoah des juifs et le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994. Disant cela, je ne minimise pas d’autres crimes de masse tout aussi abominables, contre les Tsiganes, l’Holodomor en Ukraine, le Cambodge (parfois qualifié d’auto-génocide), les Hereros en Afrique par les Allemands, la purification ethnique en Bosnie, les Grecs pontiques et les Assyriens, éliminés par les Jeunes-turcs et d’autres crimes à grande échelle. Dans chacune de ces situations, il y a, me semble-t-il, une différence de degré, de nombre ou de nature par rapport aux trois génocides évoqués plus haut. Staline par exemple n’a pas cherché à éliminer tous les Ukrainiens et les a-t-il massacrés parce qu’il visait les koulaks, définis comme une classe sociale ou parce qu’ils étaient en majorité ethniquement ukrainiens ? Les crimes de Staline sont loin d’avoir été limités aux seuls Ukrainiens. Notons que le régime de Kiev qui cherche à faire reconnaître l’Holodomor comme un génocide, a fait de leaders nationalistes comme Symon Petlioura ou Stepan Bandera, responsables de la mort de dizaines de milliers de juifs, des héros nationaux.
Singularité du génocide
De même que le droit pénal opère des distinctions entre les meurtres, celles-ci importent lorsqu’il s’agit de caractériser des massacres à grande échelle afin de ne pas minimiser la singularité d’un génocide et d’éviter de banaliser ce terme. Pour Lemkin, « En cas de génocide en tant que crime, le principe que tout groupe national, racial ou religieux a un droit naturel à l’existence ressort clairement ».
« Kill the boer ! »
Accuser Israël de génocide à Gaza comme le fait l’Afrique du Sud devant la Cour internationale de justice n’a aucun sens. Cette demande devrait être irrecevable. Si Israël voulait commettre un génocide des Palestiniens à Gaza ou en Cisjordanie, elle en aurait parfaitement les moyens. Ces moyens, Israël ne les utilise pas et n’en a jamais eu l’intention. Hitler avait bien l’intention d’éliminer la «race juive» et le Hutu Power tous les Tutsis du Rwanda. Et il a quelque chose d’indécent à présenter les descendants des victimes de la Shoah comme des génocidaires, encore plus venant d’un pays, l’Afrique du Sud, qui sombre à tous points de vue. En 2023, on a pu voir le leader politique Julius Malema appeler dans un stade rempli à « tuer le fermier blanc !» (Kill the boer !) et la foule reprendre ce cri en pointant le doigt en l’air comme des fusils. C’est ce pays qui tolère ces appels aux meurtres racistes qui prétend donner des leçons au monde !
Ce qui se passe à La Haye est une sinistre et indigne comédie, hélas, bien dans l’air du temps.