L’expédition antarctique belge, plus connue sous le nom d’expédition Belgica, menée par Adrien de Gerlache de Gomery de 1897 à 1899, à bord d’un baleinier de 3 mâts baptisé Belgica, fut la première expédition de l’âge d’or de l’exploration de l’Antarctique et la première mission belge au pôle Sud.

Fast forward 2025 : un navire flambant neuf, homonyme des 2 premiers*, le Belgica II nouvelle version, a été livré en 2021. Hélas, faute d’équipage (sic), il use ses bouées dans la rade militaire de Zeebrugge, après 3 ans d’inactivité opérationnelle ou presque. Accrochez-vous à l’iceberg, l’histoire risque de vous faire dégivrer. 

Comme toute histoire belge, celle-ci n’avait pourtant pas trop mal commencé. Un navire océanographique flambant neuf, délivré par un chantier naval espagnol (FREIRE à Vigo) sans trop de suppléments façon gare de Mons ni étripages flamando-wallons, cela demeure un exploit assez rare dans le pays pour le passer sous silence. Une décision du gouvernement de Charles Michel (2017) puis une mise à l’eau en 2020 après 28 mois de construction... Sûr que l’on n’est guère habitué à ce niveau d’efficacité sous nos latitudes. Mis à l’eau en février 2020, le bâtiment est plus grand que son prédécesseur (70 m au lieu de 50), peut accueillir jusqu’à 28 chercheurs (15 auparavant) et, avec une autonomie de 30 jours, est susceptible d’être en mission 300 jours par an (au lieu de 200 pour le Belgica des années 80). On se pince : efficace ET ambitieux. Cela n’allait pas durer.

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L’arrivée du mille-feuilles...

Mais à part ça Madame la Marquise ? Un incident, une broutille : l’organisation administrative du navire. En effet, le navire de recherche appartient à l’État belge, représenté par la Politique scientifique fédérale (BELSPO) tandis que sa gestion opérationnelle incombe à l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique (IRSNB), voué à travailler en étroite collaboration avec la Défense. La Marine fournit le personnel de commandement avec trois personnes (commandant, premier officier et navigateur) et assure son appui. A partir de 2023, elle aurait pu fournir un équipage composé de deux équipes. Tout cela, c’était ce que nous annonçait l’organe de presse de la défense belge début 2020.**

... et le débarquement des petits hommes gris !

Puisque tout cela devenait vraiment trop simple, décision est prise en 2021, de confier la gestion opérationnelle du navire scientifique aux Français de l’Ifremer*** via leur filiale Genavir. Pas en soi une mauvaise pioche : Genavir peut se targuer de « 45 années d’expérience dans la fourniture de services aux instituts scientifiques et étatiques. La compagnie maritime assure la gestion, l’exploitation et la maintenance de navires côtiers et hauturiers de la flotte océanographique française ».

Las, Genavir a constitué un équipage avec des marins civils lettons, sous contrat de travail de droit letton, en complément des officiers de la marine belge et «de marins français sous contrat de travail de droit français». Une petite semoule bien européenne qui aurait dû ravir tout le monde sauf nos habituels services administratifs.

Et patatras, « le 4 décembre 2023, une inspection du Belgian Maritime Inspectorate (BMI, si, si ça existe), autorité représentant le pavillon de commerce belge, a conclu que le Belgica « avait un statut de navire de commerce. » Il a alors réclamé à Genavir que les membres d’équipage bénéficient des conditions de travail conformes à la réglementation belge applicable aux navires de commerce. » On ne vous fait pas un dessin : plus cher, plus taxé, plus tout ce qu’on aime dans ce pays. En France aussi, soit dit en passant, mais apparemment beaucoup moins chez l’armateur de l’Ifremer qui... rompt unilatéralement le contrat d’exploitation.

Le GERFA enfonce le clou

Groupe d’étude et de réforme de la fonction administrative, le GERFA rassemble des fonctionnaires particulièrement attentifs à ce genre de mascarade. Dans le dernier numéro de sa feuille d’informations (Diagnostic, novembre 2024), il résume assez bien le sentiment général émanant de cette triste débandade.

Sous la plume de son président, Michel Legrand, on peut ainsi lire : « (...) la saga de notre navire océanographique Belgica -qui a couté 54 millions d’euros- défie tout entendement. Privé d’équipage, il est amarré dans la base de Zeebrugge depuis juillet. Ici, c’est le montage de la décision qui interpelle !
Pourquoi diable céder l’amarinage du vaisseau à une entreprise privée (NDLR :
Genavir) qui a dénoncé le contrat, alors que la force navale dispose de tous les moyens requis ? Cela coûte plus cher ? Peut-être à première vue sur le plan strictement comptable, mais sûrement pas si on s’inscrit dans la nécessité de valoriser l’investissement, qui implique que le navire effectue les missions de recherche pour lesquelles il a été construit et payé par les finances publiques. »

Comme disait si bien le grand Jacques, pourra-ton un jour oublier ces heures, qui tuaient parfois à coups de pourquoi ?

Foster Laffont

* Il y eut également un deuxième Belgica dans les années 80 au sein de la marine belge mais allez savoir pourquoi (encore une fois), celui-là ne bénéficia pas du numéro 2.

** ‘A l’avant-garde’, site d’informations de la défense belge.

*** Institut Français de Recherche pour l’Exploitation de la Mer