A l’occasion du 30ème anniversaire du génocide des Tutsis au Rwanda, notre chroniqueur Alain Destexhe publie «Rwanda 94 : la carnage. 30 ans après retour sur place». Nous en publions un extrait sur l’assassinat des paras belges, le 7 avril 1994…
Je me trouve devant un petit bâtiment à la façade criblée de dizaines voire de centaines d’impacts de balles et de grenades. Trente ans plus tard, les marques de l’assassinat des dix para-commandos belges sont toujours bien visibles. La route où est passée le général Dallaire, le commandant de la MINUAR, le matin du drame se situe à trente mètres à peine. Pourquoi ne s’est-il pas arrêté ce matin du 7 avril 1994 ? Trente ans plus tard, sur place, cela reste incompréhensible.
Un plan machiavélique
La mort de ces dix militaires n’est pas la conséquence des risques du métier, mais le résultat d’un plan machiavélique destiné à obtenir le retrait du contingent belge, le plus puissant de la MINUAR. Cet assassinat joue donc un rôle central dans l’histoire du génocide.
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Le peloton mortier tombe dans une embuscade
Le 6 avril 1994, à 20h22, l’avion qui transportait le président du Rwanda, Juvénal Habyarimana, est abattu. Pour assurer la continuité de l’État, il est prévu que la Première ministre du gouvernement de transition, Agathe Uwilingiyimana, qui appartient à l’opposition, prononce un discours à la radio le lendemain matin pour appeler la population au calme. Un peloton de soldats belges de l’ONU, commandé par le lieutenant Lotin, est envoyé à la résidence de la première ministre pour l’y escorter. Les casques bleus belges sont faits prisonniers par le major Bernard Ntuyahaga. Ils sont conduits au camp Kigali, une caserne militaire proche.
Mon colonel, on va se faire lyncher
Dès leur arrivée, ils sont battus à coup de crosse, de pierres et de baïonnettes. Le lieutenant Lotin réussit à passer un appel à travers le téléphone d’un observateur togolais de l’ONU. À 9h06 le lieutenant-colonel Jozef Dewez reçoit cet appel : Mon colonel, on nous a emmené je ne sais pas où. J’ai trois hommes à terre qui se font tabasser. Mon colonel, nous allons tous nous faire lyncher.
Quatre soldats belges gisent par terre, ensanglantés. Ils meurent probablement à ce moment-là. Les autres parviennent à se réfugier dans un local où un cinquième est alors abattu par balle. (...) Dewez, hélas, qui a mal interprété l’appel de Lotin, n’envoie aucune force à la rescousse. Première fatale erreur.
Une résistance héroïque
Des heures durant, les paras survivants se battent héroïquement avec les moyens du bord. Ils se défendent avec un fusil qu’ils ont réussi à arracher à un assaillant à travers la fenêtre, ce qui leur permettra de tenir encore plusieurs heures. Les impacts toujours visibles sur la façade témoignent de la violence de l’assaut. Ils seront achevés à coup de fusil et à l’arme blanche avant que leurs corps soient atrocement mutilés.
L’incompréhensible attitude du général Dallaire
Ce qui pose encore davantage question est l’attitude du général Dallaire. Le matin du 7 avril, ce dernier se rend à une réunion à l’Ecole supérieure militaire (ESM) où tous ceux qui comptent dans les Forces armées rwandaises (FAR) l’attendent. Pour s’y rendre, il passe devant le camp Kigali. Selon son témoignage écrit à la demande de la commission du sénat belge : J’ai jeté un coup d’œil sur l’entrée. J’ai été choqué car j’ai vu le corps de quelques soldats belges allongés sur le sol. J’ai donné l’ordre au chauffeur d’arrêter le véhicule, ce qu’il a refusé prétendant que le camp Kigali n’était pas sûr vu l’état de mutinerie qui régnait. (…)
Arrivé à la réunion, en présence, répétons-le, de tous les commandants des FAR, le général n’a ni évoqué ce qu’il venait de voir, ni exigé qu’ils mettent un terme à l’agression contre ces soldats de la paix dont il était le chef. Un peu plus tard, informé de la situation au camp Kigali par l’officier togolais qui a assisté au début du massacre, Dallaire reste à nouveau sans réaction.
La réunion à l’ESM se termine vers midi sans que le sort des casques bleus belges soit évoqué. Comme l’a souligné, la commission d’enquête du sénat belge (1997), le général Dallaire porte une lourde responsabilité dans la mort des paras pour ne pas avoir cherché à venir au secours de ses soldats.
Trois longues heures d’agonie, abandonnés
9h06, dernier appel du Lieutenant Lotin. Vers midi, le général Dallaire, son chef, sort de la réunion avec les orchestrateurs du génocide. Trois heures, trois longues heures durant lesquelles il n’a rien fait pour sauver ses hommes. Personne n’est venu à leur secours.
En face du local criblé de balles, dix stèles commémoratives rendent hommage à Bruno Bassine, Christophe Dupont, Alain Debatty, Thierry Lotin,Yannick Leroy, Stéphane Lhoir, Bruno Meaux, Louis Plescia, Christophe Renwa et Marc Uyttebroeck…