Dans Le futur de la monnaie, Michel Aglietta et Natacha Valla, qui sont bien placés pour en parler, l’un professeur émérite à l’université Paris-Nanterre, l’autre doyenne de l’Ecole du management et de l’innovation à Sciences Po, évoquent la place centrale de la monnaie dans nos vies, mais aussi toute l’importance qu’elle revêt pour modeler l’économie, la société et notre avenir. « La société n’existe pas, a dit Margaret Thatcher ; il n’y a que des individus et des marchés. » C’est méconnaître, selon les auteurs, les vertus de ce qu’ils appellent « l’institution monnaie ».
Les crises de ce début de XXIe siècle l’ont montré, la monnaie n’est pas neutre et la finance n’est pas parfaitement efficiente, c.-à-d. qu’elle n’est pas capable d’intégrer les risques dans le prix des actifs. Aglietta et Valla voient dans la monnaie d’autres aspects plus essentiels : elle structure nos relations au pouvoir, à l’argent et à l’Autre, c’est à dire, ajoutent-ils se référant à Lacan, au collectif, et elle est consubstantielle à la souveraineté des Etats. Rappelons-le tout de suite, car ce n’est pas leur premier ouvrage dont cette chronique fait la recension et dans lequel ils se prononcent, ils ne donnent pas cher du rôle international du dollar US comme monnaie d’échange et de réserve. Comment les contredirait-on dès lors que les Etats-Unis ont abandonné leur posture d’hégémonie bienveillante pour se servir de leur devise comme d’un instrument de domination ?
Comprendre la monnaie requiert une approche multidisciplinaire. Anticipons : selon les auteurs, elle devra même permettre d’interagir sur l’ensemble des cycles « bio-géo-chimiques » du système Terre du respect des limites duquel dépend la survie de notre espèce et de nombre d’autres. A cet égard, avancent-ils, la croyance en une auto-détermination des comportements via les marchés n’est qu’une illusion. Jetez Marx et Keynes par la fenêtre, ils reviennent par la porte sous l’habit de changement climatique et de gouvernance mondiale, l’alpha et l’oméga, le commencement et la fin, pour paraphraser le livre de l’Apocalypse.
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Pour remédier au système d’une devise clé (britannique d’abord, puis américaine) et à l’utilisation de leur monnaie par les Etats-Unis comme outil de domination, les auteurs proposent de transformer le système monétaire international en un système multilatéral avec comme actif de dernier ressort des droits de tirage spéciaux sous la forme d’une monnaie universelle synthétique constituée d’un panier de devises via le Fonds monétaire international. Le G20 pourrait certes faire office d’instrument de concertation, mais les auteurs eux-mêmes n’y croient pas, tant l’heure est à la déglobalisation et les rivalités fusent, tandis que la dette publique des Etats-Unis et les dettes des entreprises américaines, il est vrai, ont atteint des niveaux préoccupants et incitent au pessimisme.
Il existe deux conceptions diamétralement opposées de la société et de l’économie, l’une affirmant la primauté de l’individu, l’autre, la primauté du collectif. Clairement, les deux auteurs optent pour la seconde. La société ne se résume pas à une addition d’individus se livrant à des échanges marchands et la monnaie figure parmi les institutions proéminentes qui la régule. Aristote disait que la monnaie est pure loi. Etat et monnaie entretiennent un lien étroit. L’Etat est le garant de la cohésion de la nation et de sa monnaie et au travers de celle-ci il fournit le capital qui produit les richesses. Dans cette conception, la monnaie est un bien public. Il en résulte, notons-le, que la dette publique fait contrepartie à la richesse collective, en d’autres termes, que l’épargne et les biens des citoyens de la nation peuvent légitimement servir à rembourser les dettes de l’Etat, via l’impôt dans le meilleur des cas, la confiscation ou l’expropriation dans le pire.
Mais, qu’est-ce qui fait la valeur de la monnaie ? Aglietta et Valla font appel à la psychanalyse pour l’expliquer et cela vaut, semble-t-il, quel qu’en soit le rôle dans l’économie et la société, à savoir que les individus ne peuvent exister sans la reconnaissance des autres et qu’il en est de même pour les autres. C’est source de désir et de rivalité. La monnaie en est un exutoire. Schopenhauer parlait d’être, d’avoir et de paraître et de la difficulté pour l’individu de les ordonner. Helmut Schoeck plaçait l’envie, revers de cette difficulté, au cœur de sa théorie du comportement social. L’homme restant pareil, demain est une imposture.
Le futur de la monnaie, Michel Aglietta et Natacha Valla, 320 pages, Editions Odile Jacob.