Drieu Godefridi et Samuel Furfari, nos experts en Politique internationale et Energie ont planché sur le rapport Draghi… Pas super le Mario !

Le rapport Draghi publié le 9 septembre est unanimement salué par la presse européenne, comme étant de nature à propulser l’UE hors de la vilaine ornière dans laquelle elle verse depuis 20 ans. 

Proposons ici, humblement, une opinion discordante : il ne nous semble pas que le rapport Draghi, même s’il était implémenté — quod non — règlera quoi que ce soit à l’échelle macro-économique européenne. En effet, M. Draghi refuse de prendre congé du mythe germano-écologiste de l’Europe zéro-carbone. Or, tout est là.

Commençons par souligner l’étonnante temporalité de la parution du rapport Draghi : voici un constat, un ensemble de diagnostics objectifs et chiffrés sur le désastre économique européen, qui était typiquement de nature à nourrir le débat démocratique précédant les élections européennes du 9 juin, mais également la reconduction dans ses fonctions de l’un des principaux artisans de cette Bérézina économique européenne : Ursula von der Leyen. Au lieu de quoi, Mme von der Leyen a reporté au lendemain de sa reconduction la publication du rapport Draghi ; énième illustration du caractère viscéralement anti-démocratique des institutions européennes.

Au fond. Il faut se réjouir que l’arriération économique donc à terme sociale de l’UE soit finalement reconnue par ceux qui en sont les artisans, c’est-à-dire les « élites » de l’UE, dont Mario Draghi est l’une des figures les plus abouties (et les plus aimables, au reste). Les constats de Draghi sont implacables : le revenu moyen de l’Européen s’effondre face au revenu de l’Américain, l’industrie européenne s’affaisse, la part de l’Europe dans l’économie de demain — le secteur technologique — est dérisoire.

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Des maux, oui. Des remèdes, pas vraiment !

 Les remèdes proposés par M. Draghi ne sont pas neufs : politique industrielle « ciblée », réduction d’impôt par-ci, simplification administrative par-là. Et la contraction d’un emprunt européen de 800 milliards par an ! Rien de cela n’est novateur, tout a déjà fait l’objet de maints « livres blancs », recommandations et rapports — dont ceux de la Cour des comptes européenne. Surtout, M. Draghi ne tient aucun compte de l’échec des mesures comparables, telles l’emprunt européen post-COVID, qui fut un fiasco magistral (même pas un tiers des fonds mobilisés utilisés, fraudes massives, effet économique négligeable).

Pourtant, M. Draghi souligne à maintes reprises et très justement que les entreprises européennes régressent parce qu’elles sont scarifiées d’impôts, martyrisées de mille réglementations variant comme un ciel belge, et qu’elles payent leur énergie entre deux et dix fois plus cher que leurs concurrents mondiaux — ce qui est létal pour 100% de l’industrie européenne, à commencer par la chimie. Le constat est donc juste.

Les préconisations peinent à convaincre. Car, en substance, que propose M. Draghi ? Un nouvel emprunt massif, qui n’est jamais qu’un nouvel impôt — dont le remboursement contribuera à détériorer davantage la position compétitive des entreprises européennes. 

Ensuite, M. Draghi suggère de forcer le tempo de la transition énergétique. Là encore, revenons aux fondamentaux : forcer les entreprises et familles à opter pour des sources d’énergie plus coûteuses — plus coûteuses en elles-mêmes, ou tenant compte de leur distribution, et de leur intermittence — ne crée aucune « opportunité » (si ce n’est ce qu’on nomme en économie des effets d’aubaine pour les captateurs du subside public) seulement une nouvelle aggravation de leur situation économique globale.

Mario Draghi est conscient du problème : « there is a risk that decarbonisation could run contrary to competitiveness and growth » reconnaît-il dès la page 2 de la partie A de son rapport. Et de fait, dans un autre rapport publié récemment sous l’égide de la même Commission européenne, il était reconnu que les objectifs fantastiques de l’UE en fait de transition énergétique — « zéro carbone » en 2050 ! — requièrent la bagatelle de 1500 milliards par an, pendant vingt ans ! Or, quel que soit l’emballage verbal, cette bagatelle est un coût, qui viendra obérer la situation des entreprises européennes, et appauvrir les ménages européens.

Si l’on s’en tient aux constats du rapport Draghi, sortir l’UE de l’ornière est possible, et suppose les mesures suivantes : 1) réduction drastique de la charge fiscale globale sur les entreprises (et ménages), 2) simplification draconienne du droit européen qui paralyse, punit finalement tue l’initiative 3) abandon de la transition énergétique autoritaire pour lui substituer la faveur donnée à la diversification volontaire du mix énergétique et 4) redonner aux entrepreneurs innovateurs « le goût du sang », c’est-à-dire en découdre non pas avec leurs voisins nationaux, mais avec leurs concurrents mondiaux.

C’est de ce point de vue que le rapport Draghi propose une initiative qui, à défaut d’être novatrice ou spectaculaire, devrait être appliquée sans délai : la création d’un véhicule juridique européen permettant aux entrepreneurs européens de s’attaquer de front à l’ensemble de leur marché natif en Europe (‘introduce a new EU-wide statute for innovative ventures ‘Innovative European Company’, page 247, partie B du rapport). Cette mesure simple, couplée à la simplification administrative, serait cohérente avec l’esprit fondateur de la Communauté économique européenne, qui est le marché commun.

L’intéressant rapport Draghi vaut davantage par la justesse de ses constats, que par le réalisme de ses préconisations.

Drieu Godefridi

Mario Draghi a présenté son rapport sur la compétitivité de l’UE commandé par la Commission européenne. La presse en parle sans l’avoir étudié puisque les commentaires sont élogieux . 

Bien qu’il ait été prêt avant les élections européennes, il n’a pas été rendu public à ce moment-là, ce qui aurait pu influencer le déroulement des élections, car il déplore la perte de compétitivité de l’UE en raison de ses choix politiques. L’ancien président de la BCE écrit sans ambages : « Pour la première fois depuis la guerre froide, nous devons vraiment nous inquiéter de notre survie. » Ce rapport expose les nombreuses raisons pour lesquelles la compétitivité de l’UE la place dans une position nettement désavantageuse par rapport au reste du monde.

En particulier, Mario Draghi pointe du doigt l’inflation législative en énumérant pas moins de 13 000 textes législatifs depuis 2019, dont beaucoup sont tout simplement inapplicables. Pendant mes vacances, j’ai rencontré une personne qui travaille dans une entreprise familiale allemande de 60 000 employés qui produit de tout petits composants essentiels pour l’industrie, dont le rôle est d’informer la direction s’il est plus avantageux de payer une amende que de se conformer à certaines réglementations européennes en matière de développement durable qui sont si difficile à respecter, qu’elles impactent négativement le coût de production.

L’excès de bureaucratie

Le fléau de la politique énergétique de l’UE

Cependant, les principales inquiétudes de Mario Draghi tournent autour du manque de compétitivité résultant des prix élevés de l’énergie : « Les entreprises de l’UE sont toujours confrontées à des prix de l’électricité 2 à 3 fois plus élevés qu’aux États-Unis et à des prix du gaz naturel 4 à 5 fois plus élevés. »

Bien que mon dernier livre ait pour sous-titre « La destruction organisée de la compétitivité de l’UE », comme il s’en plaint, je ne suis pas d’accord avec beaucoup des propositions avancées par ce grand banquier dans le domaine de la politique énergétique ou plutôt je déplore l’absence de certaines politiques que Mario Draghi ignore. Il tombe également dans le piège des non-spécialistes de l’énergie en se concentrant sur la production d’électricité et en négligeant le besoin le plus important, à savoir l’utilisation thermique de l’énergie et la géopolitique de l’énergie. En outre, la source d’énergie la plus importante en termes de volume, de coût et de besoin est totalement négligée, car le mot pétrole n’est utilisé qu’une seule fois dans ce rapport. À l’instar des institutions européennes, il prévoit l’avenir énergétique de l’UE avec les énergies renouvelables sans jamais mentionner le mot « intermittence », ce qui montre qu’il ne se rend pas compte ou occulte le handicap rédhibitoire des énergies renouvelables populaires. Il écrit le mot « nucléaire » cinq fois, mais à chaque fois en même temps que « énergie renouvelable ». Prétendre ignorer la forte relance de la politique nucléaire dans l’UE et dans le monde ne fera que renforcer la perte de compétitivité qu’il déplore à juste titre. 

Trois chemins

Cette lucidité sur la situation dramatique dans laquelle se trouve l’UE devrait alerter les nouveaux commissaires et eurodéputés, les incitant à changer radicalement de politique énergétique. Bien qu’il n’en tire pas les conséquences du changement, ces trois phrases de Draghi sont particulièrement significatives : « Si l’Europe ne peut pas devenir plus productive, nous serons obligés de choisir. Nous ne serons pas en mesure de devenir à la fois un chef de file en matière de nouvelles technologies, un modèle de responsabilité climatique et un acteur indépendant sur la scène mondiale. Nous ne pourrons pas financer notre modèle social. Nous devrons revoir à la baisse certaines de nos ambitions, sinon la totalité. […] Nous en sommes arrivés au point où, si nous n’agissons pas, nous devrons compromettre notre bien-être, notre environnement ou notre liberté. »

Liberté ?

La liberté, ce précieux trésor, qui a été arraché aux griffes de l’oppression à un coût incommensurable, doit rester le phare de l’UE. Certains écologistes ont proposé de limiter la liberté pour forcer la réduction des émissions de CO2, ce qui est inutile et irréalisable. Abandonner le bien-être, quand on sait que le pouvoir d’achat et le prix de l’énergie ne permettent plus une qualité de vie satisfaisant et même des soins de santé pour la plupart des Européens, serait une erreur morale.

La troisième option de Draghi reste, « compromettre notre environnement », mais ce terme n’est pas bien choisi. Afin de ne pas compromettre notre bien-être, nous devons bien sûr éviter la pollution et ainsi protéger l’environnement. Ce que Draghi veut dire ici, c’est la politique climatique, qu’il pique à plusieurs reprises dans son rapport (« nous ne pouvons pas devenir un phare de la responsabilité climatique »).

La seule solution pour retrouver la compétitivité

L’ancien président du Conseil italien admet timidement que nous n’abandonnerons pas le gaz naturel de sitôt. Mais il aurait dû ajouter que le reste du monde — en particulier les pays BRICS qu’il ne mentionne pas du tout — continuera à augmenter la consommation de toutes les énergies fossiles pour continuer à accroître sa prospérité et sa compétitivité, tandis que l’UE stagnera parce que nous refusons d’utiliser une énergie abondante et bon marché. Comme le montrent les trois dernières COP, le monde a déjà abandonné l’illusion de réduire les émissions mondiales de CO2, alors que pour l’UE, cela reste la politique centrale et il n’y aura donc pas de reprise de notre compétitivité.

La situation est si grave qu’il est regrettable que Draghi n’ait pas suivi sa logique jusqu’au bout en disant clairement qu’il faut abandonner l’idéologie verte imposée par l’Allemagne à tous les États membres de l’UE. 

Le PAN du 10 mai avait bien raison de titrer « von der Leyen ou Draghi, c’est chou vert et vert chou »

Samuel Furfari

1 Vous pouvez lire mon analyse complète en 19 pages sur le site Science-climat-énergie : https://www.science-climat-energie.be/2024/09/13/le-rapport-draghi-une-vision-erronee-de-lavenir-energetique-de-lue/