En janvier de cette année, dans les pages de Sudinfo, Paul Magnette se plaisait à citer François Rabelais dans Pantagruel : « il est bien vrai ce que l’on dit, que la moitié du monde ne sait pas comment l’autre moitié vit ». Et de dénoncer « la stratégie de la droite qui consiste à perpétuellement taper sur les assistés qui sont incapables de se prendre en main ». Une étude(*) financée par le patron de ChatGPT sur le concept de « revenu universel » – majoritairement soutenu à gauche de l’échiquier – est l’occasion de revenir sur ce modèle. Elle fait la démonstration qu’il existe bien une rhétorique de la paresse assistée.
Au départ, un postulat
A l’heure où la gauche agite la crainte que l’intelligence artificielle menace toujours plus d’emplois – alors qu’il est prouvé que des centaines de nouveaux métiers seront créées dans les dix prochaines années grâce à l’essor de l’IA, du cloud computing et du renforcement de la cybersécurité – Sam Altman, PDG d’OpenAI (à qui l’on doit ChatGPT) a voulu savoir ce qu’il se passerait si « tous les habitants de la planète recevaient de l’argent gratuitement, régulièrement et sans conditions ». Un revenu « inconditionnel » de 1000 dollars par mois a été versé pendant trois ans à des foyers à faible revenu choisis par hasard dans le Texas et l’Illinois (1000 participants entre 21 et 40 ans touchant moins de 30.000 dollars par an, soit un peu moins de la moitié du salaire annuel moyen aux États-Unis qui est de 72.000 dollars). Le groupe de contrôle auquel on les a comparés a reçu, quant à lui, 50 dollars par mois sur la même période. Chaque cohorte a été scrutée – avec son accord – sur la manière dont l’argent versé a été dépensé et son impact sur des indicateurs de bien-être financier et moral. Les chercheurs s’attendaient à ce que le groupe test utilise cette manne inattendue de 36.000 dollars pour sortir de la spirale de la précarité. Eh bien, que nenni, point du tout ! La grenouille ne s’est pas faite aussi grosse que le bœuf.
Travailler, c’est trop dur
Les résultats montrent que les participants ont réduit leur temps de travail d’environ 1,3 heure par semaine (8 jours de travail en moins par an) pour consacrer plus de temps à leurs loisirs. L’étude révèle aussi une diminution de l’engagement professionnel, avec une baisse de 2 points de pourcentage dans la motivation. En outre, pour les non actifs, seulement 9% des bénéficiaires ont cherché activement un emploi et très peut ont émis le désir de reprendre des études ou celui de se lancer dans l’entreprenariat. De manière générale, les chercheurs notent que le temps libre supplémentaire dégagé n’a pas été réinvesti dans des activités productives. « Cela suggère que le revenu universel réduit la motivation à travailler, sans pour autant améliorer la qualité des emplois disponibles ».
Cigales, plutôt que fourmis
Reste le constat d’une augmentation générale des dépenses – 310 dollars de plus par mois – qui se concentre principalement sur les catégories de l’alimentation, du logement et des dépenses liées à l’automobile (26% du groupe test a également fait des cadeaux à ses proches ; un nombre significatif a déménagé et changé de quartier). En revanche, l’épargne nette est en diminution car plus que compensée par de nouvelles dettes. « Les incidents de remboursement et autres saisies bancaires ne sont nullement en recul et au total le patrimoine net des bénéficiaires a légèrement diminué au bout de trois ans ». Le groupe de contrôle (celui des 50 dollars mensuels) obtient à l’inverse de meilleurs résultats, un comble !
En résumé, le revenu universel – mécanisme d’assistance individualisée par l’Etat – rejoint le cimetière des fausses bonnes idées. Au total 43 millions de dollars auront été distribués par le philanthrope de la Silicon Valley pour nous apprendre que le problème de la pauvreté ne se résume pas au manque de moyens financiers et aurait des racines socio-culturelles ancrées que la largesse d’un Etat-Providence ne saurait effacer à coups de chèques ! Quant à Rabelais, cher monsieur Magnette, il est bien vrai ce que la droite pense, que la moitié du monde ne sait pas comment l’autre moitié travaille…
(*) Cash increases possibility ? The potential and the limitations of unconditional cash transfers