Huit mois après les élections, la Belgique a enfin un gouvernement fédéral de centre droit. Après la Flandre et la Wallonie, il reste la région bruxelloise où les évolutions démographiques rendent une alternance politique presque impossible.
L’année dernière, le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles a organisé une exposition «Le surréalisme en Belgique – Histoire de ne pas rire», un titre qui résume bien la politique belge. Annoncé ce week-end après huit mois de tractations qui, selon une tradition bien établie, se sont terminées par un accord au petit matin, la Belgique se retrouve avec un gouvernement dont le Premier ministre est un nationaliste flamand qui souhaite la fin de la Belgique, à la tête d’une coalition associant les libéraux francophones (mais pas les flamands) et les socialistes flamands (mais pas les francophones) !
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La durée nullement exceptionnelle de ces négociations s’explique d’abord par le cordon sanitaire derrière lequel se trouve le nationaliste Vlaams Belang, second parti du royaume, avec lequel il aurait pourtant été facile de s’entendre du point de vue programmatique pour exclure les socialistes. Mais, comme en Allemagne, où il porte le charmant nom de «pare-feu» (Brandmauer), même s’il vacille localement dans quelques communes flamandes, le cordon sanitaire reste un dogme absolu auquel les ténors politiques sont tenus de sacrifier rituellement par des formules consacrées, adoubées par les médias.
La Belgique, la Flandre et la Wallonie – dans le système fédéral belge, les régions bénéficient de larges compétences – ont désormais des gouvernements de centre droit. Reste Bruxelles où, malgré la première place du Mouvement Réformateur (MR – centre droit), la gauche reste majoritaire si on associe le PS, Ecolo et le PTB marxiste. Ce dernier, en forme électorale, est rarement qualifié «d’extrême» par les médias, contrairement aux petits partis, non représentés dans les parlements, qui se positionnent d’abord sur l’immigration et qui n’ont, eux, aucune visibilité médiatique.
Avec désormais seulement un quart de la population bruxelloise d’origine belge, en quelques décennies à peine, la carte électorale de Bruxelles s’est profondément transformée.
Autrefois une ville-région à dominante libérale, elle est aujourd’hui devenue une terre de gauche, où l’islam et les nationalismes étrangers – marocain et turc essentiellement – jouent un rôle politique majeur.
Appliquant les théories de Terra Nova, le PS bruxellois, qui domine la région depuis 20 ans, autrefois chantre de la laïcité, est devenu islamo-compatible et compte désormais deux tiers d’élus d’origine musulmane jouant à fond la carte communautaire. L’apparition d’un parti islamiste aux élections régionales et communales a entraîné une surenchère délirante à gauche pour capter le vote musulman. Les deux campagnes de 2024 ont eu pour thèmes principaux Gaza, le port du voile dans les services publics et l’abattage rituel, interdit dans les deux autres régions du pays. Notons au passage que la RTBF, la chaîne publique dont la notoriété dépasse désormais largement le plat pays pour sa conception particulière du journalisme, a refusé de diffuser une campagne de Gaia, une association de protection animale dénonçant l’abattage sans étourdissement, sous prétexte de «sensibilité communautaire».
Encouragé par un système électoral à choix multiples sur une même liste, le vote des Bruxellois d’origine immigrée se fait désormais principalement sur des critères nationalistes (étrangers) ou religieux. Ainsi, par exemple, deux Turco-Belges sont arrivés largement en tête dans les communes bruxelloises où les Turcs sont le plus présents. Seul parti à s’opposer à cette dérive communautariste, le MR de Georges-Louis Bouchez tente, en vain, de séduire ce que les médias qualifient pudiquement de «nouvelle sociologie» bruxelloise, le terme démographie – qui pourrait induire l’idée d’un «grand remplacement» (selon le terme emprunté au patenté Cohn-Bendit pour Mayotte) – étant trop négativement connoté. Cependant, les candidats d’origine musulmane sur ses listes, accusés par la rue arabe (qui n’est plus seulement un concept oriental) d’être de mauvais musulmans, sont l’objet de campagnes de dénigrement et ne parviennent pas à se faire élire. Ainsi, complétant involontairement le tableau du communautarisme bruxellois, le MR devient le parti des Belgo-Belges.
Dans ces conditions et en ajoutant la capacité de blocage de la petite minorité flamande (il faut une double majorité parlementaire francophone et flamande dans l’usine à gaz institutionnelle bruxelloise pour constituer un gouvernement), une véritable alternance politique devient impossible. La constitution du gouvernement régional apparaît comme un casse-tête et il en sortira au mieux un compromis boiteux, incapable de résoudre les problèmes de plus en plus aigus (drogue, fusillades, saleté, sans-abris, paupérisation, endettement, mobilité, islamisation…) de cette ville qui se prétend la capitale de l’Europe.
La leçon à retenir est la suivante : à partir d’un certain seuil, l’immigration devient une donne électorale majeure, impose un agenda politique communautariste qui profite à la gauche. À Bruxelles, il est trop tard pour faire marche arrière. Et si les tendances actuelles se poursuivent, c’est le danger qui guette toutes les grandes métropoles et régions d’Europe avant de s’imposer par la démographie au niveau des nations, un terme qui, dès lors, perdrait toute signification.
Alain DESTEXHE
Chercheur au Gatestone Institute (un think tank conservateur américain), sénateur honoraire belge. Dernier ouvrage paru : Mayotte, comment l’immigration détruit une société, Editions Texquis, 2025.
Cet article a égallement été publié sur Vox-Le Figaro.






