Perception aberrante et surannée de l’espionnage

Le niveau du tourisme au Congo est insignifiant et largement inférieur à d’autres pays africains. Cette carence a plusieurs causes dont la plus insolite est la récurrente accusation d’espionnage. 

Vous voulez photographier le fabuleux fleuve Congo ; pourquoi ? Vous êtes espion, non ? Pas concevable autrement, du moins dans le crâne bas de plafond de l’illettré de service, le sans-grade ivre de l’once d’autorité que lui offre son uniforme de militaire ou de policier de dernier rang. Les beautés de l’environnement, il n’en a cure. Lui se lave à peine et, à force d’avoir jeté négligemment ses détritus n’importe où, il vit pratiquement dans un dépotoir d’ordures lorsqu’il rentre chez lui, à la cité, le sol jonché de bouteilles vides, de sacs plastiques et d’autres crasses, sans oublier les excréments de chèvres, de cochons et de poulets. La majesté de la nature, ça dépasse de loin son quotidien minable. 

À peine formé, pour ainsi dire pas du tout, le voici qui s’en prend au touriste photographiant, qualifié d’espion : « c’est interdit, c’est infraction ». Assez vite, le ton monte, il arme son fusil et met son coupable imaginaire en joue, menaçant de tirer, répétant fébrilement : « c’est infraction, c’est infraction ».
Généralement, l’on en revient aux fondamentaux : le matabiche absout de tout. Pour vingt dollars, l’espion redevient touriste, aucun problème. En cela, le rançonneur se condamne : de deux choses l’une, ou bien il a commis un acte arbitraire soutenu par ses comparses, aggravé de menace au moyen d’une arme, à l’encontre d’un simple photographe, ou bien il a trahi la Nation pour vingt dollars en laissant à l’œuvre un espion. Dans un cas comme dans l’autre, ce dangereux minus et son chef devraient comparaître devant la juridiction militaire, mais de facto leur immunité sera totale car nul ne connaîtra l’incident. Pire, l’on reste songeur lorsque l’on sait que ces derniers et leurs camarades dépisteurs d’espions étaient en poste pour assurer la protection du Président de la République. Vingt dollars pour un Chef d’État…

Voici une vingtaine d’années déjà, au cours d’une réunion au sein de la BANQUE MONDIALE à Paris, un ministre congolais du Tourisme confiait aux entreprises présentes qu’il déplorait que les mesures normales en matière de lutte contre l’espionnage soient, en réalité, trop souvent réduites à de si sinistres mascarades nuisibles au tourisme. Il fustigeait notamment ceux qui s’indignaient de prises de photos de l’aéroport de N’Jili (Kinshasa) ; rappelant que de vrais espions pouvaient aisément disposer des plans auprès des constructeurs étrangers. Mais cela peut se produire en n’importe quel lieu du territoire. Une jolie rivière traversée par un ancien pont en brousse, une photographie ? Et rebelotte ! Vous êtes espion, non ? Personne ne dénie l’importance de la vigilance en matière d’espionnage, mais là c’est seulement de l’extorsion de fonds.

Un blogueur congolais, HABARI RDC (Bonjour, la RDC), lui-même en voyage, a exprimé sa crainte de photographier là où pourtant cette liberté était légale, au Niger : « Lors d’un voyage à l’étranger, je me suis retrouvé au bord du fleuve Niger. Devant moi, j’admirais ce fleuve, le troisième plus long d’Afrique et j’ai cherché à me prendre en photo à cet endroit. Mais je me suis vite rappelé que faire la même chose à Kinshasa peut conduire à mon arrestation. Perplexe, je cherche donc quelqu’un, de préférence un gendarme pour avoir l’autorisation. Je ne trouve personne et je n’ai donc pas pris la photo. J’apprendrai plus tard que ce n’était pas du tout interdit. ». Au Congo, pour photographier, il faut un permis. Et il est illégal de photographier des bâtiments gouvernementaux, un peu comme si, à Bruxelles, il était interdit de prendre des vues du 16 rue de la Loi… Qui dirait vous êtes espion, non ? HABARI RDC est de bon sens : « Je pense qu’il est de mon droit de filmer la place publique en me mettant moi-même dans le champ. Le prétexte selon lequel, le fleuve Congo est une frontière me parait juste tiré par les cheveux. Je pense qu’il faudrait définitivement lever le flou sur cette question pour éviter qu’elle ne soit une source permanente d’abus. ». Puisque c’est possible au Niger…