« Quand il n’y a plus d’idées dans un parti politique,
il ne reste que des ambitions personnelles. »
Edgar Morin Sociologue et philosophe
Dans les derniers jours de son existence, la Vivaldi, pour convaincre ArcelorMittal d’investir plus d’1 milliard d’euros à Gand (plutôt que dans un autre pays), s’est engagée à fournir au sidérurgiste de l’électricité bas carbone à un prix compétitif.
Le Premier ministre, Alexander De Croo, et la ministre de l’Energie, Tinne Van der Straeten, ont promis à ArcelorMittal Belgique de lui vendre une partie de l’électricité qui sera produite par Doel 4 et Tihange 3, quand les réacteurs auront été prolongés.
Ainsi, après avoir combattu depuis plus de 20 ans la production d’électricité d’origine nucléaire, Ecolo/Groen reconnait enfin, sans le dire explicitement, que la façon la moins chère et dégageant le moins de CO2 de produire l’électricité est de prolonger la durée de vie des centrales nucléaires existantes.
C’est bien pourquoi, alors que la loi de sortie du nucléaire de janvier 2003 impose arbitrairement l’arrêt définitif des centrales nucléaires après 40 ans d’exploitation, les centrales de Doel 1, 2 et 4 ainsi que celles de Tihange 1 et 3 fonctionneront toutes pendant au moins 50 ans.
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Mais alors, pourquoi ne pas prolonger au-delà de 40 ans d’exploitation les centrales de Doel 3 et Tihange 2 qui ont été « mises à l’arrêt définitif » respectivement en septembre 2022 et janvier 2023, alors qu’elles ont 7 ans de moins que Doel 1/2 et Tihange 1 ?
La raison avancée serait qu’en 2012, lors d’une inspection par ultrasons, Electrabel a découvert la présence de microbulles d’hydrogène dans les cuves de ces deux réacteurs. Après des études approfondies, l’Agence Fédérale de Contrôle Nucléaire (AFCN) a pourtant conclu en 2015 que :
L’intégrité structurelle des cuves de Doel 3 et Tihange 2 est conforme aux normes de sûreté imposées et la présence de microbulles d’hydrogène n’a pas d’impact négatif sur la sûreté des centrales.
En juillet 2019, une inspection de suivi réalisée lors de la révision prévue de Doel 3 a clairement démontré que les microbulles d’hydrogène dans les parois de la cuve du réacteur de Doel 3 n’ont pas évolué et qu’aucune nouvelle indication n’est apparue. La même conclusion a été faite en décembre 2020 en ce qui concerne la cuve de Tihange 2.
Malgré cela, certains experts estimeraient qu’il y a un risque qu’après 50 ans d’irradiation (et pas 40), les cuves de Doel 3 et Tihange 2 ne respectent plus la norme de résistance à un choc thermique.
La logique aurait voulu que la Vivaldi, avant de mettre au rebut un investissement de plusieurs milliards d’Euros, demande à l’AFCN d’entreprendre les études permettant de confirmer ou d’invalider cette hypothèse. Elle ne l’a pas fait sous prétexte que la loi de 2003 est toujours en vigueur et qu’elle prévoit la fermeture de toutes les centrales après 40 années d’exploitation ce qui n’a pas empêché la prolongation de l’exploitation de nos 5 autres centrales !
Il n’est peut-être pas trop tard pour que le prochain gouvernement rectifie le tir en empêchant un démantèlement prématuré de ces deux centrales, et annule ou corrige enfin la dogmatique loi de sortie du nucléaire de 2003.
Ce faisant il prendrait en considération l’opinion de 85 % des Belges qui, selon un récent sondage, sont en faveur d’une réouverture des réacteurs de Doel 3 et Tihange 2 pour autant que l’AFCN confirme que cela peut se faire en toute sûreté moyennant les modifications techniques éventuellement nécessaires.
Cette question est d’autant plus actuelle que la Vivaldi a signé des accords visant à produire de l’hydrogène vert dans le sultanat d’Oman et en Namibie et de l’importer en Belgique sous forme liquéfiée (avec quel bilan carbone ?).
Ne serait-il pas plus judicieux de lancer sans tarder une étude sur les mérites d’utiliser un jour la centrale de Doel 3 pour produire au moindre coût de l’hydrogène « propre » à proximité des ports d’Anvers et Zeebrugge, grâce à des investissements et à la création d’emplois en Belgique, sans dépendre d’un Etat pétrolier. La combinaison d’électricité nucléaire avec la production d’hydrogène permettrait de s’adapter facilement aux variations de la production des énergies renouvelables intermittentes (éolien et photovoltaïque) sans recourir à des centrales à gaz polluantes et subsidiées, ce qui est l’inverse du principe du « pollueur-payeur ».
Comme nous ne savons pas de quoi l’avenir sera fait, mais qu’une réduction drastique de nos émissions de CO2 est indispensable, il est urgent d’empêcher Engie d’entreprendre des actions de démantèlement portant préjudice au redémarrage éventuel de Doel 3 et Tihange 2 d’ici cinq à dix ans.
Lorsque j’étais enfant, ma grand-mère m’a enseigné que « l’on se grandit en reconnaissant ses erreurs ». Dans l’intérêt général de la Belgique, c’est un précepte que nos hommes politiques feraient bien d’adopter en abolissant sans plus attendre la loi de fin du nucléaire votée en 2003.
Pierre Goldschmidt
Pierre Goldschmidt est ancien directeur général adjoint de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique, responsable du département chargé de vérifier la non-prolifération horizontale des armes nucléaires dans le monde.