Quelques réactions au livre de Michel Allé, pour aller au-delà.
(Partie 2, suite de la semaine dernière)

(Ndlr : cet article, initialement prévu d’être publié avant les élections n’a pu l’être. Vu son intérêt, nous avons décidé de le publier même en retard, la substance restant valable.)

3. . Il est temps maintenant de passer du coût à la question du prix de l’électricité. En effet aujourd’hui le prix (ce qui importe en fait au consommateur) n’est plus directement lié au coût de production, il est fixé par Le Marché. Jusque dans les années 1990, la situation historique était une fourniture verticalement intégrée (production et transport/distribution) et gérée sous le contrôle de l’État.  Ceci reflétait le concept que l’électricité n’est pas une marchandise comme une autre, mais un bien commun nécessaire (vital) pour le fonctionnement de la société, un service au public en quelque sorte. L’ultralibéralisme triomphant (initié par Thatcher/Reagan et suivi par l’Union Européenne) a remplacé cette approche par le « marché », exigeant la séparation nette entre la production (marché) et le transport/distribution (monopoles ou quasi). Ce marché a été organisé sur la base de l’ordre de mérite – à savoir que l’installation qui a priorité de fourniture sur le marché est celle qui a le coût marginal de production le plus bas. Ce coût marginal est constitué uniquement des coûts de fonctionnement de l’installation – combustible, salaires, maintenance essentiellement. Ce prix fait donc l’impasse sur un grand nombre de coûts du système électrique. Dans un premier temps, dans les années 1990 et tout début des années 2000, avant le déploiement des énergies renouvelables, l’ordre de mérite a cependant permis de continuer à bénéficier des avantages respectifs des moyens de production pilotables existants – chacun dans leur créneau (nucléaire, charbon, gaz). De nouveaux gros investissements dans les réseaux n’étaient initialement pas nécessaires – les réseaux existant faisant globalement l’affaire. 

Puis dans les années 2000 et encore plus après 2010 est arrivée la vague verte et la poussée massive des énergies renouvelables intermittentes – avec leur lot de subsides, bypassant le marché, et avec « priorité d’accès » via l’ordre de mérite puisque leur coût marginal est par définition le plus bas et que leurs autres coûts ne sont pas considérés dans la constitution du prix. Ce marché non revu et corrigé pour prendre l’intermittence en compte était complètement biaisé, mélangeait des pommes et des poires (productions intermittentes et pilotables) et surtout ne permettait pas de faire porter les coûts système – dont les coûts d’adaptation des réseaux  de transmission et de distribution – sur les épaules de ceux qui les génèrent.

Cette réalité commence seulement à faire surface aujourd’hui, malgré que des lanceurs d’alerte aient annoncé les problèmes de longue date. Les solutions adoptées tout récemment par l’Union Européenne pour aider aux investissements intensifs en capital dans les moyens de production  sont une première étape mais ne règlent pas les déficiences structurelles du marché – en particulier son découplage entre la production et les coûts associés à la gestion de l’intermittence. On peut craindre de voir arriver bientôt, en plus du marché de l’électricité et du CO2 (ETS) déjà existants, un marché du stockage, un marché de l’hydrogène, un marché de la capture/stockage du carbone,… espère-t-on raisonnablement que tout cela fonctionnera au bénéfice du consommateur final ?

En deuxième conclusion, il faut donc plaider pour une réforme en profondeur et structurelle du marché de l’électricité qui soit un vrai « level playing field »,
prenant en compte dans la constitution du prix tous les coûts associés à la production et au transport/distribution, et ce pour chaque forme de production (1). De même que les coûts du CO2 sont aujourd’hui reflétés dans les coûts de production des centrales fossiles (ETS), les coûts de gestion de l’intermittence, que ce soit par stockage, gaz ou hydrogène, bassins hydrauliques, ou tout autre moyen, devraient aussi être attribués correctement à ceux qui les génèrent, et ce avant d’entrer dans le marché.  La vraie compétition pourrait alors jouer… et on verrait vite le résultat.

4. Pour terminer, voyons la situation concrète du pays européen qui se veut être le champion vert : l’Allemagne. Entre 2005 et 2025, l’Allemagne aura dépensé 500 milliards d’Euros en subsides aux énergies renouvelables intermittentes, auxquels il faut ajouter 150 milliards pour l’adaptation partielle du réseau de transport. La Cour des Comptes allemande a estimé qu’il faudra y ajouter encore 450 milliards sur les vingt ans suivants. Au total donc 1100 milliards… et ceci ne couvre pas tous les autres coûts de gestion de l’intermittence (nouvelles centrales fossiles, systèmes massifs de stockage par batteries, bassins hydrauliques ou hydrogène, etc…). On arrive vite à 1500 et même 2000 milliards. Et tout cela en notant qu’en 2022, l’empreinte carbone de l’électricité allemande était de 385 g CO2/kWh… huit fois celle de la France avec son nucléaire fournissant 70% de l’électricité et un coût de grand carénage de la flotte de 50 milliards d’euros qui donnera une vie supplémentaire de vingt ans au parc existant. 

Oui mais… trop cher le nouveau nucléaire ? même à 10 milliards d’euros la nouvelle centrale, on pourrait en construire 150 à 200 avec ce que les Allemands auront dépensé en vingt ans pour leur rêve vert… qui est un fiasco total. 

En conclusion finale, cet article tend à montrer que le livre de Michel Allé, pour bien écrit et attirant qu’il paraisse, fait l’impasse sur un problème central du système électrique d’aujourd’hui : le prix de l’électricité ne reflète pas les coûts réels totaux de production. Un ensemble de coûts (coûts système, coûts d’adaptation des réseaux, coûts de gestion de l’intermittence, …) sont glissés sous le tapis ou en tout cas mal ou non attribués… mais sont quand même payés par les consommateurs soit dans la facture, soit dans la feuille d’impôt, sans que la plupart ne s’en rendent compte. Cela doit cesser. Il faut remettre l’intérêt du consommateur au centre de la politique énergétique et électrique, et non plus les intérêts des lobbys verts et industriels associés qui font la politique à la place de ceux qui devraient prendre leurs responsabilités. 

Aux urnes, citoyens ! (2)

Marc Deffrennes

(Ingénieur Civil - Fonctionnaire Européen et OCDE à la retraite - Expert en Energie dans diverses Associations, dont 100TWh)

1 Contracts for Difference CfDs et Power Purchase Agreements PPAs

2 Le livre de Michel Allé est publié par l’Académie Royale de Belgique. On se réfèrera aussi utilement à d’autres publications de l’Académie sur les sujets traités dans cet article :

Jean Pierre Schaeken-Willemaers « L’Utopie du Tout Renouvelable » 

2017 ISBN978-2-8031-0598-4

Jean Pol Poncelet «L’Europe à Tous Vents » 2017 ISBN978-2-8031-0596-0