Quelques réactions au livre de Michel Allé, pour aller au-delà.
(Partie 1, suite la semaine prochaine)
1. Que le titre du dernier livre de Michel Allé (1) est bien mal choisi… Renouvelables contre Nucléaire eût été bien plus correct pour refléter l’esprit du bouquin, qui, quoi qu’il s’en défende dès son introduction, ne fait que s’inscrire, à grand renfort de chiffres et de graphiques intelligemment choisis, dans la logique idéologique verte qui est en train de réussir à définitivement appauvrir la société belge, citoyens et industries consommateurs d’électricité ou contribuables.
Renouvelables contre Nucléaire est plus correct car cela fait vingt ans que les promoteurs des Renouvelables (2) , Ecolo-Groen en tête, se battent pour leur « 100% » (3) . Pour arriver à 100%, il faut en effet obligatoirement tuer le nucléaire, ce qui n’est pas loin de réussir, maintenant que la Ministre Van der Straeten, avec le soutien du Premier Ministre et de sa Vivaldi, vient de faire passer à la Chambre l’amendement à la Loi de sortie du nucléaire de 2003. Cet amendement autorise (merci Mr Poutine !) la prolongation de 2 réacteurs sur 7 pour seulement 10 ans… mais cela n’abroge pas cette Loi ! Nous sommes donc bien dans un pays qui continue à sortir du nucléaire dans un terme relativement court… et est légalement tenu de le faire, même si notre Premier Ministre vient d’être l’hôte à Bruxelles du premier Sommet Mondial sur l’Energie Nucléaire, rassemblant 37 chefs d’État et de Gouvernement et promouvant un triplement de la production nucléaire mondiale d’ici à 2050 !
Les élections arrivent qui pourraient changer la donne (4) ... sauf que, comme l’a dit la Ministre à la Chambre, dans ce dossier tout est lié (5) , sous-entendu, le détricotage sera quasi impossible. Elle avait tout bien prévu et surtout très bien manipulé le timing depuis 2021 et travaillé avec ELIA (6) et ENGIE pour enterrer la bête tout en la laissant encore un peu vivante, et couvrir ainsi ses arrières pour se dédouaner de l’accusation de dogmatisme antinucléaire.
Voilà pour la mise en perspective. Il faut maintenant en venir à la substance et montrer que l’argumentation de Michel Allé est biaisée. Son analyse est faite de manière très intelligente, à grand renfort de chiffes, tableaux et graphiques, mais pèche par omission en n’abordant pas des faits objectifs qui changent fondamentalement la perspective globale.
Le biais principal du livre de Michel Allé est en effet qu’il se contente essentiellement de parler des coûts de production de l’électricité aux bornes de l’installation qui la produit, ce qui en anglais se nomme le Levelised Cost of Electricity (LCOE), même s’il mentionne en passant les autres coûts du système électrique. Il eut dû s’y attarder beaucoup plus, car ce qui importe au consommateur final, qu’il soit privé (ménages) ou entreprise (industrie, agriculture, services), c’est le prix final payé sur la facture.
2. Dans un premier temps, avant de parler d’un prix fixé par le marché, concentrons-nous sur les coûts totaux de l’électricité, non plus aux bornes de l’installation de production, mais à l’arrivée chez le consommateur. Dans le système électrique, il faut à tout moment un équilibre entre production et demande, sinon le système devient instable et peut déclencher (blackout). Le coût total inclut les coûts de production aux bornes des installations (LCOE), les coûts de transport et de distribution par les réseaux, les taxes, mais aussi les coûts de gestion de la stabilité du système électrique. On doit y inclure les coûts de « gestion de l’intermittence », ce qui, volontairement n’est pas fait correctement à ce jour, de façon à artificiellement favoriser les énergies renouvelables intermittentes.
Revenons à la notion de pilotabilité d’un moyen de production. Est pilotable le moyen qui est globalement capable de suivre la demande pendant au moins 85% du temps sur une année. Les énergies fossiles et le nucléaire le sont. Les énergies renouvelables intermittentes (vent et solaire) ne le sont pas (loin de là même). Il faut donc complémenter ces dernières par des moyens de gestion de leur intermittence pour assurer une production suffisamment stable et répondre à la demande. Cette complémentarité peut venir de sources pilotables (gaz, charbon, nucléaire), ou bien par des moyens de stockage (hydraulique, batteries, hydrogène). Mais tout ceci a un coût qui doit être porté à charge des moyens non pilotables qui les engendrent. Ce qui, comme dit plus haut, n’est pas fait à ce jour.
De plus, dans les coûts réseaux, il ne faut pas oublier aussi de bien compter les coûts d’adaptation de ces réseaux aux nouveaux moyens de production qui sont mis en œuvre, en particulier le déploiement des énergies renouvelables intermittentes. Leur extension intempestive exige de passer d’un système électrique centralisé unidirectionnel basé sur de grosses unités de production pilotables, vers un système décentralisé bidirectionnel basé sur des petites installations intermittentes. L’on entend bien aujourd’hui (enfin ! dirons-nous) les messages des opérateurs de réseaux de transport et de distribution alertant sur les coûts à venir dus à l’arrivée massive et décentralisée des énergies renouvelables intermittentes qu’ils devront absorber… quand il y aura du vent et du soleil. Ces coûts d’adaptation des réseaux ont été jusqu’à présent volontairement cachés aux consommateurs, par les politiques et les lobbys industriels et verts qui ont intérêt au déploiement massif des énergies renouvelables intermittentes, les vantant comme « gratuites ».
En première conclusion, sur les coûts de l’électricité et pour les raisons décrites ci-dessus, on n’a pas fini de les voir s’envoler, si effectivement la course à l’échalote du déploiement massif des énergies renouvelables intermittentes se poursuit comme elle a commencé (7) . Et on peut craindre que ce le soit au vu du succès non démenti du lobby vert, politiques et industriels du secteur (y compris gazier). On entend dire que le nucléaire (8) est hors de prix (hors coût en fait) au vu des récentes expériences de nouvelles constructions en Europe et aux États-Unis (9) . Sans entrer dans les raisons qui peuvent expliquer l’envol de ces coûts, il faut simplement rappeler, que même si c’est très cher de construire du nouveau nucléaire, c’est un investissement pour 60 à 80 ans (10) , et qui ne demande pas de construire des moyens supplémentaires de gestion de l’intermittence et d’adapter significativement les réseaux. Investir aujourd’hui dans une nouvelle centrale nucléaire qui sera remboursée en une trentaine d’année, et qui fonctionnera après à des coûts très bas pour cinquante ans, est donc un cadeau fait aux générations futures ! Un discours à l’opposé de celui du lobby vert et de ses affidés, qui ne voient dans le nucléaire qu’un passif laissé à nos successeurs (11) . On aurait aimé que Michel Allé reflète ces considérations dans son livre.
Suite et fin dans le prochain numéro
Marc Deffrennes
(Ingénieur Civil - Fonctionnaire Européen et OCDE à la retraite - Expert en Energie dans diverses Associations, dont 100TWh)
1 Professeur honoraire Solvay et Polytechnique ULB, ancien Directeur financier de Brussels Airport et de la SNCB, et (voir la footnote 6) Administrateur de ELIA, le monopole de gestion du réseau de transport d’électricité en Belgique, et en partie aussi en Allemagne, pays de l’Energiewende. 2 Intermittents : solaire et éolien s’entend ici. 3 Un récent Congrès d’Ecolo avait encore cet objectif comme sujet, qui est défendu publiquement ad nauseam par Jean-Marc Nollet et par Edora, le lobby des Renouvelables. 4 Notons en passant le bon timing de la publication du livre de Michel Allé. A point nommé pour (dés)informer l’électeur. 5 L’amendement à la Loi de 2003, prévoit entre autres, en plus de la prolongation de seulement 2 réacteurs pour seulement 10 ans, un transfert financier de l’ordre de 23 milliards d’Euros « de l’opérateur vers l’État ». Ce montant correspond aux réserves accumulées dans les fonds de démantèlement (8 milliards) et de gestion des déchets nucléaires (15 milliards). Ces sommes ont déjà été payées par les consommateurs d’électricité, ce qui n’est que normal selon le principe du pollueur payeur. Espérons que l’État ne fasse pas mauvais usage de ces fonds pour boucher, en catimini, quelques autres trous budgétaires ici ou là. Ce qui ferait les gorges chaudes à dire que la charge de déchets nucléaires serait laissée aux générations suivantes… ce qui est faux. 6 En octobre 2021, sur instruction de la Ministre Van der Straeten, Chris Peeters, Directeur Général d’ELIA, a mené une étude montrant qu’il était tout à fait possible pour la Belgique de sortir totalement du nucléaire (produisant depuis de décennies en moyenne 50% de l’électricité consommée en Belgique) en 2025. Pour cela, il suffisait de construire rapidement des centrales à gaz et de prévoir une importation de l’ordre de 30%. Suite à la crise de l’énergie et surtout de la guerre en Ukraine et de son impact sur la dépendance européenne au gaz russe, le gouvernement pris de panique a opté pour maintenir 2 réacteurs sur 7 pour 10 ans. En mars 2022, une révision de l’étude ELIA a confirmé cette décision politique. 7 On se réfèrera très utilement sur ce sujet à l’étude Coûts Système Électrique de l’Agence de l’Énergie Nucléaire de l’OCDE, qui montre qu’au-delà d’un seuil de l’ordre de 30% de pénétration d’énergies renouvelables intermittentes dans le mix électrique décarboné, ce n’est plus l’optimum économique. Et ce d’autant moins que ce pourcentage augmente et que la décarbonation est plus profonde. https://www.oecd-nea.org/jcms/pl_15158/the-system-costs-of-electricity-reflecting-the-true-costs-of-decarbonisation?details=true. 8 Le nouveau nucléaire s’entend, car la Vivaldi a commis un crime de lèse-société en arrêtant prématurément des réacteurs qui auraient pu fonctionner plus longtemps à moindre coût. 9 Contrairement à la Chine où les mêmes modèles de centrales sont construits dans les temps et le budget. 10 Contre une vingtaine d’années pour le solaire et l’éolien. 11 En rappelant que les coûts de gestion du « passif » (démantèlement et déchets) sont financièrement provisionnés pendant le fonctionnement des centrales et payés par le consommateur, ce qui est légitime dans le concept du pollueur-payeur.