Dans le Brief Elections, un podcast du journal économique et financier L’Echo, de lundi, la ministre des Pensions Karine Lalieux (PS), qui remplaçait au pied levé Paul Magnette, son président de parti ayant fait faux bond, osa affirmer que si le soutien à l’industrie énergivore exigeait que l’on relance un troisième réacteur nucléaire, comme l’avait suggéré le Premier ministre De Croo, « le PS [serait] pragmatique, comme nous l’avons tous été dans ce dossier ».

« Parce que plus encore que les salaires, l’énergie représente un facteur de compétitivité déterminant pour les entreprises. » Cette phrase apparaît dans le compte-rendu de son podcast par L’Echo, sans que l’on n’ait vérifié si elle a été prononcée verbatim par la ministre ou si elle est du cru de L’Echo. Ce que l’on sait par contre, c’est que s’il y a un élément qui a fait défaut dans le dossier nucléaire en Belgique, c’est bien le pragmatisme.

Pour bien le comprendre, il faut remonter à la naissance du prédécesseur de Groen, Agalev (Anders wlongue : Écologistes confédérés pour l’organisation de luttes originales) datant quant à elle de 1980, issus des mouvements de protection de l’environnement qui apparurent partout en Europe au cours des années 1970 et proches de l’ONG américaine Les Amis de la Terre. Plusieurs fondateurs d’Ecolo et Agalev participèrent d’emblée aux mobilisations autour de l’énergie nucléaire.

Pendant vingt ans, cela parut bien inoffensif, jusqu’aux élections législatives de 1999 que le VLD de Verhofstadt remporta en se présentant à l’électeur flamand avec un programme résolument libéral sur le plan économique (option gagnante en Flandre, la N-VA s’en inspira pour remporter son plus grand succès électoral aux législatives de 2014, 1 366 397 de voix, 33 sièges). A la suite de son succès de 1999, l’ex-Baby Thatcher fit ce qu’on appelle depuis dans le monde politique flamand un Verhofstadtje : il jeta son programme à la poubelle et négocia avec les socialistes et les écologistes.

Les écologistes mirent un prix fort à leur participation au pouvoir : un calendrier ancré dans la loi de fermeture de toutes les centrales nucléaires. A la stupeur de ses partisans, Verhofstadt acquiesça et la loi du 31 janvier 2003 entérina l’arrêt progressif de tous les réacteurs et l’interdiction d’en construire de nouveaux. D’emblée cette loi suscita de vives critiques. Le chef de l’opposition, Yves Leterme (CD&V), parla d’une politique de l’autruche, d’une volonté de persister dans la voie empruntée sans égard pour les conséquences, car il n’existait - ni n’existe - aucune réponse sérieuse à la question de savoir comment on s’y prendrait pour remplacer toute l’électricité produite par les centrales.

L’euphorie ne dura pas dans le camp écologiste : aux élections législatives du 18 mai 2003, Agalev perdit la totalité de ses 9 sièges, Ecolo en perdit 7 et n’en garda que 4. N’empêche, le mal était fait. Le crédo écologiste percola dans les autres partis, y compris le VLD où seul Jean-Marie Dedecker, enfant terrible et à l’époque sénateur VLD, augura de ce que, si l’on fermait les centrales, on finirait par s’éclairer à la bougie. Le gouvernement du socialiste Di Rupo (2011-2014), qui associait les trois familles politiques traditionnelles, supprima l’unique échappatoire prévue dans la loi de 2003, à savoir de retarder l’arrêt d’un réacteur si cela menaçait l’approvisionnement électrique. C’était une fois encore ne tenir compte ni des réalités économiques, ni des facteurs technologiques.

En outre, c’était et ça reste du sadomasochisme écologique puisque l’on se prive d’une énergie sûre, abondante, bon marché, neutre en CO2 et nationale. Les Néerlandais l’ont compris : leur nouveau gouvernement de centre droit prévoit la construction de plusieurs centrales nucléaires, notamment sur l’autre rive de l’Escaut, face à Doel. En Belgique, le pompon fut la désignation d’une écologiste, Tinne Van der Straeten, comme ministre de l’Energie de la Vivaldi. Elle usa de tous les stratagèmes pour rendre la sortie du nucléaire irréversible - et la loi de 2003 n’a pas été abrogée. A quel prix pour la Belgique, ses habitants et son activité économique ?