En matière d’IPP (Impôts des Personnes Physiques), cela fait quelques années que le croisement des données permet à l’administration fiscale de récupérer ses créances sur des montants qu’elle vous devrait par ailleurs. Une « habitude » qui prend une tournure peu élégante si pas totalement illégale dans le cas de couples divorcés. Et aussi les autres !
Sylvie C., nom d’emprunt, s’apprêtait à recevoir cette année un remboursement sur le trop-perçu payé de ses impôts. Une situation pas si banale puisque, selon les statistiques du SPF Finances, 64 % des contribuables reçoivent chaque année ce type de remboursement. L’Etat à crédit, c’est sans doute ce que la Belgique maîtrise le mieux.
Las, des quelques milliers d’euros attendus, elle n’aurait dû... rien toucher. Un petit courrier insidieux de l’administration, suivant de quelques jours l’annonce du versement, lui expliquera assez froidement que ce montant sera utilisé pour apurer une dette fiscale « que vous restez nous devoir ». Sans autre précision.
Lisez votre journal numérique et accédez à tous nos articles réservés aux abonnés.
A PARTIR DE 6€/MOISSans engagement.
Abonnez-vousDéjà abonné ? Connectez-vous
L’incroyable glitch* de perceptio
Sylvie C. ne s’en laisse pas conter et voudrait bien en savoir un peu plus sur cette dette fiscale soudaine alors qu’elle se fait un point d’honneur à régler le trésor public au jour le jour. Pour ce faire, elle s’arme de patience parce que, comme le rappelle l’OECCBB (Ordre des Experts Comptables et Comptables Brevetés de Belgique) dans un récent appel à la grève de ses membres, pouvoir atteindre un agent du fisc au téléphone relève de l’exploit façon Koh-Lanta.
De musique d’attente en transferts multiples, de Namur à Liège et retour, notre malheureuse contribuable apprend que son argent a été bloqué pour apurer une dette de son ex-mari... dont elle a divorcé depuis plus de 8 ans. Et, c’est bien là qu’est l’os. Car le contrat de mariage initial stipule pourtant noir sur blanc un régime de séparation des biens. Contrat de mariage qui, renseignements pris, a déjà été communiqué 6 fois au SPF-Finances au cours des dernières années. A chaque fois pour les mêmes raisons. Simplification administrative quand tu nous tiens.
Agent fiscal rigolo
En ligne, un « fiscard » (agent du fisc dans le jargon de l’administration) particulièrement dissert sur la question : « Oh, ne vous inquiétez pas, je vais décocher votre profil et l’argent sera débloqué d’ici 10 jours. »
Quant à connaître les raisons du blocage pour transfert vers l’ancien mari, une raison particulièrement incongrue : « le programme ne parvient pas à lire les détails du contrat de mariage. Comme il ne sait pas faire la différence entre séparation et communauté de biens, tous les contribuables sont traités comme s’ils étaient en communauté de biens. » Et donc tous les conjoints susceptibles de recevoir de l’argent du fisc, sont susceptibles de régler les dettes de leur moitié. Même les divorcés ? « Oui, parce qu’il n’y a pas moyen de rendre cette indication définitive et chaque année, entre mars et octobre, on ne fait que ça, traiter ce genre de réclamation. »
Mais... parce qu’il y a un « mais »
Affaire classée ? Pas vraiment puisque Sylvie C. est susceptible de vivre la même mésaventure chaque année tant que son ex-mari n’a pas tout remboursé. Pas vraiment non plus dans la mesure où les petites missives du SPF-Finances masquent bien la nature de la dette fiscale dont il est question. Notre agent du fisc, toujours prolixe, nous le confirme d’ailleurs : « les gens ne comprennent rien, donc il y a une majorité de contribuables qui ne réagissent pas ». En gros, peu de contribuables appellent. Sans doute la raison pour laquelle le SPF-Finances ne décroche plus ? La poule et l’œuf du service public en quelque sorte.
Voilà donc comment vous vous retrouvez à payer les dettes fiscales de votre moitié avec le surplus du précompte que vous payez au fisc. Et, bien entendu, sans réaction de votre part dans les délais, c’est la croix et la bannière pour récupérer cet argent. Le fiscard le confirme, toujours une note de gaieté dans la voix : « oh oui, ça, c’est compliqué ».
Petites mesquineries en prime
D’autres témoignages nous ont confirmé la situation, notamment celui d’Abel V. qui, après avoir reçu son remboursement, constate qu’il a été amputé de 30 € pour une vague question de frais et intérêts... pour une erreur qu’il n’a pas commise. Là encore, une réclamation longue et fastidieuse lui fera récupérer l’indu.
« C’est en ordre, vous voilà tranquille jusqu’à l’année prochaine », reprend notre agent du fisc patenté. Parce que si l’ex-mari est toujours en dettes l’an prochain ou en contracte de nouvelles, il n’y a aucune raison que le cirque s’arrête. Et de conclure, reprenant un instant ses esprits d’agent assermenté : « c’est quand même de l’argent que l’on nous doit. »
Un peu fait exprès ?
Une sorte de demi-aveu qui fait peser de lourds soupçons sur le fait que le fisc ne semble avoir aucune intention de corriger son programme. Sans oublier qu’il est tout aussi impossible d’enregistrer définitivement cette information dans la fiche du contribuable : chaque nouvelle année fiscale, celui-ci se retrouve en communauté de biens.
Pas difficile à comprendre : avec 64% de remboursements, toute manœuvre destinée à ce que cet argent ne quitte pas les caisses est sans doute bonne à prendre dans notre état surendetté. Tout en apurant à vil prix des dettes qui seraient, à n’en pas douter, plus compliquées à récupérer au cours d’une procédure... plus catholique.
Foster Laffont
* Le « glitch » diffère du « bug » (bogue) en ce que le premier a une cause extérieure à la logique du programme, tandis que le second manifeste un défaut de protection contre un événement extérieur.