De l’étincelle pourrait jaillir la flamme
Au Congo, le secteur dit informel, c’est-à-dire le micro-commerce non-enregistré, est dynamique sur tout le territoire. L’on ne peut pas dénier l’existence d’initiatives individuelles en ce domaine, mais il en ressort peu d’idées. La débrouillardise est reine. Indéniablement, chacun s’affaire. Les uns et les autres s’imitent : mêmes produits vendus, même façon de les vendre, et même clientèle. Certes, c’est capital pour la survie de la population. Toutefois, cela ne dépasse pas le stade de l’économie de subsistance.
De façon générale, l’État apparaît comme un porteur d’espoir. Pourtant, il n’existe pas ou si peu. Il est à peine un vecteur de distribution d’une partie de subsides que les bailleurs de fonds internationaux prodiguent. S’y ajoutent les contributions des grands miniers. Une partie seulement, car la part du lion est systématiquement accaparée par les apparatchiks tout au long de la chaîne de payement. Le citoyen de base n’en voit pas grand-chose.
Il faudra donc attendre qu’émergent du tissu social des individus capables de générer eux-mêmes une activité, comme ceux du secteur informel, mais en y ajoutant l’aptitude au désintéressement. Il est vrai que celle-ci existe déjà, mais sous d’autres formes : solidarité familiale, par exemple, sous contrainte sociale. Elle répond aux besoins immédiats, aucune projection dans le temps. C’est pourquoi deux initiatives individuelles sont extraordinaires, au sens littéral du terme : une bibliothèque mobile et un musée privé dans les deux Kivu.
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À Bukavu, Ferdinand Chito Chibambo a lancé le KITABUS. Il a transformé un minibus en bibliothèque, et il sillonne la ville et ses environs. Dans les zones isolées, ses passages sont autant d’événements. Alors, il devient aussi animateur pour enfants, car ils se ruent vers ce trésor ambulant : des livres, enfin. L’on en trouve peu au Congo, même à Kinshasa. Si l’on y rapporte le nombre de bibliothèques ou de librairies par habitant, c’est insignifiant. Généralement, le Congolais lambda lit peu, très peu, vraiment très peu. Or, les enfants sont à l’âge où ils peuvent mieux s’ouvrir à la lecture. C’est essentiel pour leur formation. Et ce l’est tout autant pour le pays. Il est affligeant de rencontrer des officiels prétendre traiter de matières à propos desquelles ils n’ont pratiquement rien lu : presque pas les correspondances et encore moins des rapports. Ils passent leur temps en palabres quand ils ne le perdent pas en cérémonie en tous genres, de funérailles en mariages et autres fêtes.
Malheureusement, Ferdinand Chito Chibambo est seul et les enfants n’ont que quelques heures pour lire. Juste de quoi entamer la lecture d’un livre ; la suite sera lue plus tard ou jamais. Mais, au moins, grâce à cette initiative individuelle, Ferdinand Chito Chibambo fait œuvre utile dans le temps. La joie des enfants, à l’occasion de leurs lectures, les incitera peut-être un jour à constituer leurs propres bibliothèques ou à lancer d’autres KITABUS. Et, qui sait, l’on rencontrera alors davantage de responsables à qui la lecture d’informations professionnelles paraîtra moins rébarbatives, et qui amélioreront d’autant leur compétence.
En face de Bukavu, à Goma, sur l’autre rive du lac éponyme, Laguer Masirika Lufungulo a ouvert son MUSÉE GEMMOLOGIQUE. C’est en 1984 qu’il avait commencé sa collection de pierres de toutes sortes : semi-précieuses ou minerais. Le lieu est exigu au point que l’exposition s’étend à l’extérieur. Lui aussi fait œuvre utile dans le temps : les visiteurs prennent conscience de l’extraordinaire richesse locale. Le Congo est le seul au monde où tout le tableau de Mendeleïev se retrouve. Espérons que, parmi les visiteurs d’aujourd’hui surgira le leader de demain qui veillera à ce que les ressources nationales ne soient plus gaspillées ni pillées.
Deux initiatives individuelles, cela peut paraître dérisoire. Mais leur exemple pourrait en susciter d’autres, des étincelles de plus en plus nombreuses. Il suffirait d’une étincelle pour une flamme, un espoir concret de changement de mentalité. À terme, ce sera nettement plus profitable au pays que les gesticulations administratives des petits hommes gris d’où qu’ils proviennent, parmi les apparatchiks congolais ou leurs semblables internationaux.