Dans le monde de l’énergie, les derniers mois ont été marqués par des changements de ton notables chez certains acteurs clés. Voyons l’exemple du patron de TotalEnergies et de Kamala Harris.
TotalEnergies était-il naïf ou hypocrite ?
Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, a récemment critiqué, dans une interview au magazine L’Express, les positions irréalistes de certains opposants aux produits pétroliers. Il a souligné la nécessité continue de ces ressources dans le mix énergétique mondial. « Je suis frappé par ce retour à une forme d’obscurantisme », dit le PDG. « À en croire certains, il faudrait arrêter de produire du pétrole et du gaz du jour au lendemain et tant pis si c’est le chaos derrière. Lancer de tels anathèmes est déraisonnable : notre monde vit avec ces énergies-là. » Il a quand même ajouté « Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas investir massivement dans les énergies décarbonées, au contraire, pour réussir la transition », car qui oserait dire le contraire dans le monde sans opposition médiatique.
Qui croire à présent ?
Cette prise de position, qui tranche avec le discours habituel de l’entreprise sur la transition énergétique, illustre un revirement public significatif dans le débat énergétique actuel, revirement que l’on peut commencer à observer au Parlement européen. Stimulé par cette évolution, Pouyanné a notamment affirmé que « nous avons besoin d’énergies fossiles » et que « croire au grand soir en arrêtant les fossiles, alors que la demande en énergie est en hausse parce que la population mondiale croît et aspire à un meilleur niveau de vie, est illusoire et dangereux ». Cette déclaration contraste avec les ambitions affichées de transition vers des énergies renouvelables d’Ursula von der Leyen, qui avait décrété la fin du pétrole et du gaz naturel lors de la conférence Beyond Growth du 15 mai 2023.
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Cette conférence, qui s’est tenue dans l’hémicycle du Parlement européen à Bruxelles et qui glorifiait la fin de la croissance économique, était orchestrée par le député belge Philippe Lambertz. Cet écologiste est actuellement en pourparlers pour devenir conseiller d’Ursula von der Leyen. Dans La Libre du 19 octobre, il admet que « mon parti a fait de grosses erreurs ». Va-t-il arguer qu’il était occupé à siéger à Strasbourg et qu’il n’a donc pas vu les ‘grosses erreurs’ de son parti ? S’agit-il d’un autre retournement de veste ? Va-t-on finir par suivre Donald Trump ?
Ces changements de rhétorique ne sont plus des cas isolés. Face aux défis énergétiques actuels, de nombreux dirigeants politiques et économiques ont dû ajuster leur discours. Cette évolution soulève des questions sur la cohérence des politiques énergétiques et met en lumière la difficulté de concilier ambitions à long terme et réalités immédiates.
C’est le cas de Kamala Harris, vice-présidente des États-Unis qui a menacé de poursuites pénales les compagnies pétrolières en 2019 : « Vous devez être prêts à payer une amende importante ou à être accusés d’un crime ». Elle loue désormais la production pétrolière domestique. Le New York Post a déclaré que « son changement radical de soutien à la production nationale de pétrole et de gaz est l’une des nombreuses volte-face politiques qui ont été exposées depuis que Harris a remplacé le président Biden sur le ticket démocrate de 2024 ». Donald Trump va certainement dénoncer son revirement.
Critiquer le CO2 est facile, le réduire est difficile.
Même Mario Draghi, ancien président de la Banque centrale européenne et ex-Premier ministre italien, reconnaît désormais que la décarbonation sera difficilement réalisable si l’on tient à préserver la liberté des citoyens et maintenir une bonne qualité de vie. Cette admission d’un économiste respecté souligne l’ampleur des défis auxquels nous sommes confrontés.
Plusieurs facteurs expliquent ces revirements dans les politiques énergétiques. D’abord, la demande énergétique mondiale continue et continuera de croître, surtout dans les pays en croissance. Ensuite, les tensions géopolitiques récentes ont souligné l’importance stratégique des ressources énergétiques nationales. De plus, la transition vers les énergies renouvelables s’avère plus complexe et coûteuse que prévu. Enfin, on prend conscience du drame que constituent les prix élevés de l’énergie pour l’industrie et les citoyens. Ces réalités économiques, sécuritaires, techniques et de marché façonnent l’évolution actuelle des politiques énergétiques mondiales.
Pour les investisseurs, l’instabilité des politiques énergétiques complique les décisions d’investissement à long terme. Comment espérer des investissements dans les centrales à gaz ou nucléaires, pourtant indispensables, quand la Commission européenne et l’ancien Parlement européen ont proclamé la fin du gaz naturel dans l’UE, et que « les écolos de tous les partis » persistent dans leur aversion pour l’énergie nucléaire ?
Bien que vilipendés par les activistes, ces revirements révèlent les mensonges d’état que je dénonce dans mon livre et soulignent la nécessité d’une approche équilibrée, qui tienne compte à la fois des ambitions à long terme et des contraintes immédiates. Il est crucial que les décideurs expliquent clairement les raisons de leurs changements de position, qu’ils avouent avoir péché par optimisme, afin d’encourager un dialogue constructif sur l’avenir énergétique. En fin de compte, ces revirements mettent en lumière la complexité des défis énergétiques actuels, qui a été traitée avec un simplisme déconcertant.
L’UE, qui aspirait à être un modèle à suivre pour le reste du monde, se trouve aujourd’hui dans une situation d’isolement. Il est désormais crucial qu’elle se réoriente pour regagner sa compétitivité et, par conséquent, sa prospérité. Depuis le premier choc pétrolier il y a plus de 50 ans, nous sommes confrontés au défi énergétique. Il est temps d’admettre qu’il n’existe pas de solution simple dans ce domaine. Seule une approche nuancée, pragmatique et adaptative nous permettra de naviguer dans les eaux troubles d’un monde géopolitique dépendant des énergies fossiles, tout en préservant nos valeurs fondamentales de liberté et de qualité de vie.