Lassana Diarra. Voilà un nom qui ne dit sans doute pas grand-chose, voire rien aux lecteurs de PAN qui ne sont pas assidus aux pages sportives des journaux spécialisés. Logique : Diarra a certes une carrière honnête, passant notamment par Chelsea, le Real Madrid et l’équipe de France, mais très loin de la réputation des cadors de ces équipes.

Tout comme l’était également Jean-Marc Bosman, honnête mais modeste footballeur belge qui a connu une célébrité mondiale le 15 décembre 1995 lorsque fut rendu l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne qui mettait fin au quota de joueurs étrangers dans les clubs européens et aux indemnités de transfert pour les joueurs libres. Une décision qui bouleversa complètement le monde du ballon rond : ce qui semblait au départ un élément positif pour le football n’a eu qu’un effet pervers : il a rendu les clubs riches plus riches, les puissants plus puissants puisqu’ils peuvent depuis lors puiser à volonté dans le vivier des moins aisés.

Lassara Diarra peut ainsi devenir le 4 octobre aussi célèbre que son collègue liégeois et ce pour des raisons identiques ou presque.

La fin des transferts payants

Ce jour-là, la CJUE rendra une décision qui, si elle suit les réquisitions du procureur Maciej Szpunar, ce qui est en général le cas, supprimera tout simplement les transferts payants estimant que les règles de la Fifa en matière de transferts sont contraires au droit de l’Union européenne. Tout simplement !

Finies donc les transactions du style Neymar à Barcelone pour 222 millions, Mbappé au PSG pour 180 millions, Ronaldo à la Juventus pour 117 millions, Hazard au Real Madrid pour 115 millions, etc.

Quelle est l’origine de ce probable chambardement, de cette révolution du marché des transferts qui risque de mettre à mal les règles de la Fifa sur le statut et le transfert des joueurs ?

Pour faire court, l’affaire découle des circonstances conflictuelles de l’échec du transfert de Diarra du Lokomotiv Moscou vers le Sporting de Charleroi. Le Français n’avait pas apprécié que le club russe diminue son salaire et il rompit son contrat. Or, selon les règlements de la Fifa, pour protéger les clubs d’une rupture unilatérale de contrat, le nouveau club du joueur est solidairement responsable du paiement de l’indemnité de rupture. Dans le cas de Diarra, la chambre de résolution des litiges de la Fifa avait condamné Diarra à payer 10,5 millions d’euros au Lokomotiv Moscou. Ce qui a évidemment fait reculer le club carolo.

Diarra ne l’a pas entendu de cette oreille et a engagé une procédure devant la cour d’appel de Mons qui a passé la patate chaude à la cour de justice de l’Union européenne. Et c’est là que le procureur Szpunar a rendu ses conclusions dans un rapport de 46 pages : le règlement du statut et du transfert des joueurs n’est pas compatible avec le droit de concurrence et de libre circulation de l’Union européenne.

Si la CJUE suit l’avis du procureur, ce qui est le cas neuf fois sur dix, les joueurs pourront rompre leur contrat sans être juridiquement attaqués par le club qu’ils veulent quitter, comme cela se fait dans tous les autres secteurs de l’économie et du monde du travail. En clair, cela signifie que les joueurs pourraient se libérer de leur club librement en cours de contrat et non plus à l’issue de celui-ci. Ce serait donc la fin des transferts puisqu’un joueur acheté à prix d’or pourrait partir quasiment gratuitement. Et accessoirement, cela causerait un coup terrible aux centres de formation des clubs plus modestes comme les Belges qui vivent ou plutôt survivent en réalisant chaque année une plus-value importante sur les ventes, donc sur les transferts.

Les clubs belges en danger majeur

Quelques chiffres suffisent pour démontrer que nos clubs ont un impérieux besoin de ces ventes pour vivre ou plutôt pour survivre : Lors du dernier mercato, les clubs professionnels belges ont venu pour 325 millions et acheté pour 98 millions. Un an auparavant, ils avaient vendu pour 200 millions et acheté pour 170 millions.

Depuis trois ans, le FC Brugeois, notre club le plus riche, a vendu pour près de 200 millions dont De Ketelaere (36,5 millions), Thiago (33), Wesley (25), Kossonou (23), Nuna (21) ou encore Sylla (20). Genk, le leader du championnat, s’est délesté de Berge (25), El Khannouss (20,5), Penders (20), Onoahu (18) ou Trésor (18). Et même le Sporting d’Anderlecht qui est loin de vivre la période la plus brillante de son histoire, a alimenté sa caisse grâce à Doku (26), Verbrugghe (20), Sambi Lokonga (17,5), Debast (15,5) ou Gomez (15.) Et si le Standard se trouve dans une situation très difficile, c’est parce qu’il ne possédait pas en magasin des produits exportables de cette valeur à l’exception de Van Heusden et Djenepo.

Si la CJUE répond à la question préjudicielle dans le sens du procureur polonais, le football belge, déjà sonné par l’arrêt Bosman, trouverait dans l’arrêt Diarra le coup de grâce dont il risque de ne pas se relever…

Ch.H.