La première partie de cette recension de l’essai Le pouvoir contre les libertés d’un groupe de juristes français rappelait quelques faits saillants de la gestion politique de la crise sanitaire en France et, en particulier, la déclaration effarante du président de la République sur sa « stratégie » d’« emmerder jusqu’au bout » la part de ses concitoyens réfractaires à la vaccination contre le Covid-19, pourtant en principe non obligatoire. En effet, à aucun moment elle n’a été déclarée obligatoire et pour cause, les vaccins étaient encore en phase d’expérimentation, leurs fabricants avaient été exonérés de toute responsabilité quant à leurs éventuels effets indésirables et, si l’on comprend bien, l’Etat n’entendait pas y substituer sa responsabilité, ni ses représentants, la leur personnelle.

L’objet de l’essai n’est toutefois pas de se prononcer sur l’opportunité ni sur l’efficacité des mesures prises pour combattre la pandémie, mais d’examiner les conséquences de ce qui fut qualifié d’« état d’urgence » sanitaire et des mesures qui s’ensuivirent pour l’Etat de droit, une valeur fondatrice de l’Union européenne qui le conçoit notamment comme la prévention de l’usage arbitraire du pouvoir par les autorités et la garantie des droits civils et politiques fondamentaux et des libertés civiles des personnes. Dès son introduction, l’ouvrage relève qu’en Allemagne la protection des droits subjectifs est clairement établie alors qu’en France c’est la conformité des actes de l’administration au regard des lois et règlements qui prime. En Allemagne, l’individu est protégé « contre » l’Etat ; en France, il est « effacé » face à l’administration.

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Dans la conception française du régime administratif, le risque est que l’Etat se soustraie lui-même à ses propres règles et s’octroie des prérogatives exorbitantes jusqu’à la possibilité de s’immiscer dans les détails les plus minutieux de la vie de ses sujets. La crise sanitaire en a fourni maints exemples. Encore faut-il tenir compte de ce que les Français eux-mêmes, certes en proportions décroissantes au fil de l’évolution de la crise, estimèrent que l’Etat ne se montrait pas suffisamment strict ! On a évoqué à ce sujet une mentalité de « servitude volontaire » et l’émergence d’une société disciplinaire et délatrice et d’un ordre moral totalitaire dans lequel la liberté d’autrui serait devenue insupportable. C’est aller trop loin, selon les auteurs de l’introduction du Pouvoir contre les libertés, tout au plus la crise aurait-elle scindé la société française en deux camps : « ceux qui tiendraient à vivre libres et ceux qui idolâtreraient la vie », mais une « vie nue », sans « raison de vivre ».

Le pouvoir exécutif a-t-il, en partie, répondu à une certaine attente, subsistent néanmoins la nature liberticide des mesures prises et la mutation d’un régime répressif de contrôle a posteriori dont le centre de gravité est occupé par le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire vers un régime préventif de contrôle a priori dont le centre de gravité est le pouvoir exécutif. Il est significatif à cet égard qu’un certain Gabriel Attal, encore lui, à l’époque porte-parole du gouvernement, eut parlé dans Le Figaro du 31 janvier 2022 de « poursuivre la redéfinition de notre contrat social, avec des devoirs qui passent avant les droits, du respect de l’autorité aux prestations sociales », faisant textuellement écho aux voeux 2022 du président de la République. Le 1984 d’Orwell revisité : Freedom is slavery, la liberté, c’est l’esclavage. La soumission à l’ordre établi est la condition de la liberté authentique.

Sans doute une conception absolue de la liberté relève-t-elle de l’utopie, mais sa contingence a-t-elle jamais autant été mise en évidence dans nos démocraties que de nos jours ? Que reste-t-il des droits fondamentaux, s’interroge Ludovic Benezech, maître de conférences en droit public à l’Université Clermont Auvergne. Que l’attrait axiologique de la liberté souffre de ce qu’elle serait un danger pour autrui (dans le contexte de la crise sanitaire, mais pas uniquement : pensez à la « crise climatique »), que la liberté ne soit plus en phase d’expansion mais de régression ne fait aucun doute. N’assistons-nous toutefois pas, à la faveur de ces « états d’urgence » allégués et de la subordination des droits et libertés à une clause générale suspensive, à un bouleversement historique de l’ordre démocratique en Occident ?