Le plateau du Golan, territoire stratégique au cœur du conflit israélo-syrien, connaît un nouveau rebondissement. A la suite de la chute du régime Assad en décembre 2024, Israël a saisi l’opportunité d’étendre son contrôle sur le mont Hermon et la zone tampon adjacente. Cette manœuvre audacieuse, justifiée par des impératifs de sécurité, soulève des questions sur l’avenir géopolitique de la région et la réaction de la communauté internationale face à cette nouvelle réalité sur le terrain.
Abou Mohammed al-Joulani (Ğūlãnī), le Syrien qui a renversé Bachar al-Assad, a choisi son nom de guerre en référence au Golan pour des raisons personnelles et historiques. « Al-Joulani » évoque ses origines dans les hauteurs du Golan (« Al-Joulan » en arabe). Son grand-père a été déplacé du Golan après la conquête israélienne de 1967. Ce nom symbolise son attachement à ces terres perdues et son identité. Récemment, dans le cadre d’efforts pour améliorer son image, al-Joulani a commencé à utiliser son vrai nom, Ahmed al-Sharaa, dans les communications officielles. Ce changement s’inscrit dans sa stratégie de transition d’un leader djihadiste vers une figure politique plus modérée et acceptable internationalement.
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La conquête et l’annexion du Golan par Israël
Le plateau du Golan s’élève à l’est du lac de Galilée, offrant une position dominante sur la vallée. Avec une altitude moyenne de 900 mètres au-dessus du niveau de la mer, il contraste avec le lac situé à plus de 200 mètres sous le niveau de la mer. Cette différence d’altitude fait du Golan un balcon stratégique, permettant d’observer les terres israéliennes en contrebas et la plaine menant à Damas à l’est.
De 1946 à 1967, le Golan appartenait à la Syrie qui l’avait transformé en forteresse militaire. Son artillerie bombardait régulièrement les kibboutz et villages israéliens dans la plaine en contrebas, forçant les habitants à vivre dans la peur constante et à construire des abris souterrains.
Pendant la guerre des Six Jours (1967), l’armée israélienne a conquis le Golan réputé imprenable au prix de violents combats et de lourdes pertes. Cette conquête a entraîné le déplacement de la majorité des 130 000 Syriens du Golan. En octobre 1973, lors de la guerre du Kippour, la Syrie a tenté de reprendre le Golan, mais Israël a repoussé l’attaque dans une bataille sanglante et avancé jusqu’à 40 km de Damas.
Sur place, un vétéran de cette bataille m’a raconté son expérience, ému, près d’un char laissé comme mémorial. Pour sa génération, marquée par ces combats acharnés, restituer le Golan à la Syrie est inconcevable. Ce territoire symbolise le sacrifice de ceux qui l’ont conquis pour mettre fin aux bombardements sur la Galilée. De sorte que le 14 décembre 1981, Israël a formellement annexé le Golan.
Les enjeux géopolitiques actuels
L’annexion du Golan par Israël en 1981 a profondément modifié la géopolitique régionale, créant une situation qui persiste malgré les contestations internationales. Pour Israël, elle offre une zone tampon protectrice et un point d’observation stratégique sur Damas. Cependant, le droit international considère le Golan comme un territoire syrien occupé. Le Conseil de sécurité de l’ONU a condamné cette annexion par la résolution 497, la déclarant « nulle et non avenue ».
En mars 2019, Donald Trump a reconnu officiellement la souveraineté israélienne sur le Golan. Cette décision dans le cadre d’une politique pro-israélienne, comme la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël. Les États-Unis sont ainsi devenus le seul pays à reconnaître cette annexion.
Profitant de la chute du régime Assad le 8 décembre 2024, Israël a renforcé sa position stratégique en s’emparant du versant syrien du mont Hermon et de la zone tampon démilitarisée au pied du Golan. Cette zone de 235 km2, établie par l’accord de désengagement de 1974, était auparavant sous contrôle de l’ONU.
Benjamin Netanyahou a justifié cette action en déclarant que l’accord « s’est effondré », affirmant qu’Israël ne permettrait à aucune force hostile de s’établir à sa frontière. Bien que l’armée israélienne présente cette occupation comme temporaire, le contrôle du mont Hermon offre des avantages stratégiques considérables.
Le mont Hermon, enneigé à certaines périodes de l’année, a également une importance émotionnelle, comme le souligne le Psaume 133:3 qui évoque la fraîcheur descendant de ce mont sur Sion.
Cette nouvelle situation pourrait avoir des implications stratégiques majeures vis-à-vis du Liban, car le contrôle du mont Hermon offre une vue directe sur la vallée de la Bekaa. Cette position permet à Israël de surveiller et de contrôler les corridors traditionnellement utilisés par le Hezbollah pour le transit d’armes. Elle crée également une zone tampon plus au nord, garantit que les territoires adjacents au Golan demeurent sous son contrôle et pourrait surtout servir de levier dans de futures négociations avec le nouveau gouvernement syrien.
Le nouveau pouvoir en Syrie est encore en phase de stabilisation suite à la chute récente du régime Assad. Le nouveau maître de Damas, Mohamed al-Joulani, désormais chargé de gérer un territoire bien plus vaste que son ancienne enclave d’Idlib, a attendu le 14 décembre pour réagir à la situation. Il a déclaré que la prise de territoire par Israël représente une « menace d’une escalade injustifiée dans la région », tout en précisant que « son pays est actuellement trop épuisé par la guerre pour s’engager dans un nouveau conflit ».
Dans un effort de réconciliation nationale entre sunnites, alaouites, druzes et Kurdes, les représentants du nouveau pouvoir sillonnent les zones chrétiennes du pays. Leur mission : rassurer les habitants en transmettant le message d’al-Joulani, qui promet paix et liberté de culte pour tous. Cette démarche s’inscrit dans une stratégie plus large visant à unifier un pays longtemps divisé par le conflit.
La population syrienne vit actuellement une période paradoxale. D’un côté, elle célèbre avec ferveur la chute du régime Assad, savourant la fin de l’oppression dans un concert de chants et de joie. De l’autre, un sentiment d’impuissance et de frustration s’installe face à l’incapacité du nouveau gouvernement à contrer la perte de territoires dans le Golan. Cette situation est d’autant plus complexe que deux villages druzes ont même voté pour rejoindre l’État d’Israël.
Dans ce contexte, il est peu probable qu’Israël soit inquiété quant à ses prises territoriales, considérées comme cruciales pour sa sécurité. Étant donné la fragilité du droit international dans cette région, il ne serait pas surprenant qu’Israël ait définitivement étendu son territoire. Dans cette partie du monde, le provisoire a souvent tendance à durer.