Ses silences sont assourdissants
Le Congo est sous perfusion, une sorte de coma économique depuis soixante-quatre ans, des milliards de dollars chaque année à charge du contribuable international, occidental surtout.
Sérénade habituelle entonnée par les chœurs de Breton Woods à l’occasion de la sixième revue de l’accord de facilité élargie de crédit attribué à la République Démocratique du Congo : l’on se félicite à nouveau que tout aille relativement bien. Mais relativement à quoi ? Le refrain est convenu : « les performances réalisées dans le cadre du programme ont été globalement positives (…) les perspectives économiques restent favorables (…) la RDC demeure à risque modéré de surendettement extérieur et global (…) les réserves internationales ont continué à se renforcer (…) L’agenda des réformes structurelles progresse (…) La RDC a réalisé de grands progrès (…) Le déficit budgétaire intérieur pour 2024 devrait diminuer par rapport à 2023 ». Et cæteri, et cætera. Dans la vie réelle, au Congo, pas à Washington dans les bureaux climatisés du FMI, le Congolais lambda jouit peu de son indépendance. Il vivote au jour le jour : à peine 20% des familles ont une provision d’au moins un aliment de base. C’est la FAO (Organisation des Nations-Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture) qui en atteste en d’autres bureaux climatisés, à Rome ceux-là. C’est dire que la prose du FMI est quelque peu décalée.
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Pudiquement, le FMI relève quelques impératifs insuffisamment traités. Il se félicite de dispositions prises, mais déplore « un rythme lent » et souligne également la nécessité d’un « renforcement des efforts de réforme des cadres budgétaires et monétaires, ainsi que de la gouvernance ». Soulignons :
réforme de la gouvernance. Parfois, l’euphémisme atteint une dimension précautionneuse qui prête à sourire : « des efforts sont nécessaires pour rationaliser l’affectation des recettes aux comptes spéciaux dans le budget et pour renforcer le respect de la chaîne des dépenses et la gestion de trésorerie ». Une perle d’humour administratif. En clair, il ne faut plus détourner les fonds publics, ceux du FMI entre autres, et il est grand temps, après soixante-quarante ans d’indépendance, de cesser de les dépenser au gré des besoins du moment, sans ligne directrice. Bref, rien de nouveau sous le soleil.
Ménageant les susceptibilités, le FMI évoque des circonstances atténuantes :
« la situation macroéconomique de la RDC demeure difficile, en particulier à cause de la crise sécuritaire et humanitaire dans l’Est du pays » ou encore « les recettes domestiques demeurent sensibles aux fluctuations des cours internationaux des matières premières ». Il est indéniable que ce sont des facteurs importants, mais le pays en serait certainement moins tributaire si les soixante-quatre années d’indépendance avaient été assumées en développant le tissu économique. Les Congolais, pour la plupart, ne vivent pas d’entreprises privées à défaut de qualification professionnelle, mais aussi… à défaut d’entreprises. Tout au plus, une minorité exerce du micro-commerce. Paradoxe de ce pays constamment exsangue, son administration est pléthorique, mal payée et prédatrice ; c’est-à-dire ruineuse en ce qu’il arrive fréquemment que des fonctionnaires parasitent les activités productrices. Il existe un ministère du Portefeuille, chargé des entreprises publiques, mais ce sont généralement des coquilles vides ou des lieux de trafics d’influence et de partage de marchés. Alors, les circonstances atténuantes… Finalement, la relative euphorie du FMI masque mal la récurrence des pratiques qui entravent le développement. En termes choisis, le FMI évoque « une accélération progressive de la croissance du secteur non-extractif », ce qui n’est qu’embryonnaire, et il salue « l’expansion continue des principales mines ».
Or, tout le problème est là : elles sont prépondérantes. Sans les mines, il n’y a plus rien. Et avec elles, il n’y a pas grand-chose. Pas d’industrie. Pas d’agriculture. Pas de services. Pas d’enseignement de haut niveau. Pas de réseau routier. Pas de réseau ferroviaire. Presque pas de lignes aériennes. Pas de réseaux sanitaires. Rien, nada ! Que ce serait-il passé si le FMI avait rendu compte explicitement du réel, ce coma économique prolongé ?