Il devait transformer les 68 hectares du plateau du Heysel en « un morceau de ville dédié au rayonnement international de Bruxelles ». Rien que ça ! NEO, le projet rêvé de grande entreprise publique « carte de visite », porté par Philippe Close et soutenu par Rudi Vervoort, est surtout un gouffre à pognon qui a obéré les finances de Bruxelles Expo. Le gestionnaire du Heysel - désormais à sec - ne peut plus entretenir dignement les palais. Un gigantesque gâchis socialiste, renvoyé aux calendes grecques, sur lequel pèse une lourde omerta politique !

Mégalo, mais sur papier seulement

Le « défi colossal » est mis sur la table en 2007. Le plateau du Heysel devient la pierre angulaire du Plan de Développement International de Bruxelles (PDI), destiné à doper l’attractivité exogène de la Ville-Région. Son investissement, tout aussi colossal, est alors estimé à 1 milliard d'euros. NEO annonce créer à terme 3.000 emplois (pas un mot de l’impact sur les emplois existants). NEO c'est aussi 590 logements, 2 crèches, 1 séniorie, des bureaux, 72.000 m² d'espace commercial - un « Mall of Europe » (LOL) - 9.000 m² de restauration, un centre de congrès de 5.000 places, un nouveau stade de foot et une salle de spectacle de 15.000 places. Le tout, concocté, dans l’opacité, par un bureau d’étude et le bourgmestre de Bruxelles de l’époque, Freddy Thielemans (PS). 

Un colosse aux pieds d’argile

Dans les meilleures projections, les travaux devaient être terminés en 2030 et une grande partie du site devait sortir de terre en 2024. Nous y sommes… et Sœur Anne se désespère de ne toujours rien voir venir, hormis quelques coups de pelleteuse, en mai dernier, pour ledit Parc des Sports annoncé (aménagement d’installations sportives et d’une aire de jeu). Un bien maigre volet du projet ! Pour le reste, NEO 1, NEO 2, NEO 3 patinent et s’enlisent, mieux, empruntent une voie de garage. En résumé, dix-sept ans plus tard, c’est une succession de ratés qui (ver)minent le fumeux plateau présenté « multi-services ».

Et le bug est de taille !  Tout ce qui a, actuellement, été dépensé l’a essentiellement été en notes de consultants, honoraires d’avocats et voyages d’études de faisabilité (pour « voir comment faire mieux » que d’autres villes, si, si !). Mais, la liste des griefs est bien plus longue. Si la démesure et le manque de transparence sont autant de péchés capitaux imputés au « méga » projet, il faut aussi souligner la ferme opposition des riverains qui ont manifesté, depuis le début, de vives inquiétudes en termes de pollution sonore et de mobilité entravée : 5.800 déplacements de véhicules estimés par heure, en heures de pointe, ce n’est pas rien ! Avec une augmentation de 50% de la congestion sur les voiries, déjà saturées, adjacentes au plateau du Heysel.

Une offre sans demande

Depuis des années, si le projet a fait l’objet d’une multitude de conférences de presse dithyrambiques, un manque criant de consultation est en revanche dénoncé. NEO a été élaboré, in tempore, avec la seule collaboration des promoteurs intéressés. Et les riverains leur reprochent de ne pas avoir prévu de logements sociaux sur des terrains publics, alors que la crise du logement à Bruxelles est pressante, ce qu’ils qualifient de « mépris politique » de la Ville de Bruxelles face aux besoins des habitants. D’aucuns ont déjà été expropriés à grand frais de dommages et intérêts, actuellement pour rien ! 

En outre, imaginer le tout sous la forme d’un urbanisme sur dalle est une réflexion obsolète. Pensé à l’époque comme un modèle idéal, paré de toutes les vertus du progrès, entièrement piétonnier, le concept d’un site ceinturé d’accès automobile et d’immenses parkings à ciel ouvert n’est plus dans l’air du temps, et encore moins depuis l’ouverture du DOCK'S (le centre commercial au Pont Van Praet) en 2016 et de l’agrandissement du Westland Shopping Center, à Anderlecht. Avec la pandémie, les façons de consommer ont également profondément changé.

De manière générale, les grands centres commerciaux sont délaissés au profit du détail de proximité. Selon une récente étude américaine, 85% des grandes entreprises consacreront moins d’argent pour les voyages à l’étranger. Exit donc aussi le volet « congrès ». Le stade de foot est un gros cailloux dans la chaussure. A l’instar du centre de congrès, un stade est, à lui seul, difficilement rentable. Il doit être partiellement soutenu par les pouvoirs publics. L’idée (celle-là au moins) a été abandonnée en cours de route et le Stade Roi Baudoin préservé.

NEO: Brussels Expo en faillite virtuelle

Mais, ce n’est pas tout ! Pendant que NEO faisait l’objet de tous les marchandages socialistes, les palais des expositions, propriété de la Ville, n’ont plus été gérés en bon père de famille. Selon une étude allemande, la mise aux normes des bâtiments s’élèverait à plus de 150 millions d’euros ! En dommages collatéraux, les grandes foires et salons ont déserté le site du Heysel et Brussels Expo, l’ASBL qui régit l’actuel parc des expositions bruxellois, est exsangue. Avec des activités qui ont chuté de 90% - et donc des rentrées - la vache à lait de la Ville depuis plus de 50 ans a dû licencier une partie de son personnel et ne tient la tête hors de l’eau qu’à coup de prêts et de subsides pris sur d’autres budgets de la Ville (NDLR : dans les statuts qui lient la Ville et Brussels Expo, la Ville doit assurer que l’ASBL ait assez de liquidités pour son fonds de roulement).

Un momentum passé

Plus de 30 millions d’euros ont déjà été dépensés aux frais du contribuable, sans compter les aides pour Brussels Expo et le coût de travaux inutiles (dont un tunnel au niveau du parking C fermé par un mur car il débouche en région flamande et que la Flandre ne délivre pas l’autorisation de percer. Véridique !). Si on oblitère les problématiques supplémentaires liées au Plan régional d'affectation du sol (PRAS), comment encore légitimer en toute objectivité la mayonnaise commerciale d’un projet qui a franchement tourné au vinaigre ? Et pourtant ! « Je veux aller jusqu’au bout du processus entamé », claironne encore, en 2022, Philippe Close dans L'Echo. Ce n’est plus de la ténacité, mais de l’entêtement. Pourtant tout est là ! Les palais à rénover, la mémoire de l’Expo 58 à entretenir, l’Atomium, Mini Europe, l’avenue Houba de Strooper et ses nombreux commerces. Cet aveuglement est pour le moins inquiétant ! 

Pire ! La Ville de Bruxelles refuse de se rendre à l’évidence, quand bien même éclairée des recommandations de la Commission Régionale de Développement (CRD) qui pointe, dans son rapport de novembre 2023, l’obsolescence du projet NEO, en concluant qu’il est grand temps d’envisager autre chose au Heysel. Et c’est là que cela coince. Mettre NEO à la poubelle, ce serait reconnaître, il est vrai, que les socialistes se sont plantés sur toute la ligne depuis près de 20 ans. Autre hypothèse : le non-aveu d’échec cuisant tient-il au fait de continuer à vouloir faire plaisir à certains promoteurs et autres acteurs du monde de l’immobilier ? Allez savoir … Dans tous les cas, on comprend aisément qu'à trois semaines des élections communales, Philippe Close ne souhaite surtout pas que la presse se réveille sur ce dossier. C’est pourquoi, on vous en parle !

Alessandra d’Angelo