L’État du Vatican, l’Institut pour les œuvres de religion (NDLR : dit la « banque du Vatican », la principale institution financière du Saint-Siège), la Banda della Magliana (NDLR : une organisation criminelle basée à Rome et dont le nom est tiré du quartier où elle sévit), la Banco Ambrosiano (NDLR : au cœur d’un imbroglio politico-financier aux ramifications multiples qui verra la banque condamnée pour banqueroute frauduleuse en 1982), Mehmet Ali Ağca (NDLR : l’homme qui tenta d’assassiné le pape Jean-Paul II le 13 mai 1981 et membre de l’organisation islamiste turque des « Loups gris ») ou encore les services secrets de différents pays, aucune théorie criminelle ne décode à ce jour le mystère. L’impasse dans laquelle se trouvent les enquêteurs explique peut-être pourquoi à chaque fois que des restes humains ensevelis dans le sous-sol du Vatican sont exhumés, les espoirs d’identification se tournent immanquablement vers Emanuela Orlandi. 

Le soir du 22 juin 1983, Emanuela Orlandi (15 ans), se rend à l’école de musique « Tommaso Ludovico da Victoria », située piazza Sant'Apollinare. Elle arrive un peu en retard et semble distraite. La jeune fille demande par ailleurs à quitter le cours de flûte dix minutes avant la fin, à 18h50. Elle appelle alors sa sœur, Federica, et lui parle d'une offre d'emploi pour faire de la publicité pour des produits cosmétiques Avon. C’est la dernière fois que sa famille entendra sa voix. Elle emprunte alors le chemin du retour avec son amie Raffaella, jusqu’à l’arrêt de bus situé Corso Rinascimento, mais ne monte pas avec elle lorsqu’il arrive. Toutes les deux se quittent vers 19h30. Raffaella est la dernière personne à l'avoir vue en vie. Le lendemain, Emanuela Orlandi est officiellement portée disparue. Selon l’une des reconstitutions des faits, Emanuela aurait confié à une autre amie qu’elle devait rencontrer l’homme qui lui avait proposé le fameux poste. Le lendemain de sa disparition, les agents de quartier Alfredo Sambuco et Bruno Bosco, tous deux en poste devant l'école de musique, déclareront avoir aperçu,  en début d’après-midi du 22 juin, une jeune fille qui pourrait ressembler à Emanuela en train de parler à un homme d’environ 40 ans, le crâne dégarni, installé dans une BMW vert foncé. Le 25 juin, la famille Orlandi lance un appel à disparition par voie de presse. Les médias s’enflamment. L’affaire Orlandi devient une affaire nationale. 

Les Orlandi sont l'une des rares familles laïques à vivre à l'intérieur de la Cité du Vatican. Le père, Ercole Orlandi, est fonctionnaire à la Préfecture de la maison pontificale, l'organisme qui gère notamment l'emploi du temps du pape. Le 3 juillet, à la fin de son Angelus, place Saint-Pierre, le pape Jean-Paul II adresse un message public aux potentiels ravisseurs : « je ne perds pas espoir dans l'humanité de ceux qui sont responsables de cette situation ». Le souverain pontife précise dans sa prière qu’il souhaite que la jeune fille puisse rejoindre au plus vite sa famille, dont il se dit « proche ». Une semaine plus tard, il lance un nouvel appel. Il en fera huit en tout. Pourquoi une telle intervention personnelle du Saint-Père ? Le Servizio per le informazioni e la sicurezza democratica (NDLR : le SISDE, les services secrets italiens), s’empare de l’affaire. Le téléphone de la famille Orlandi est mis sur écoute. La piste de l’enlèvement politique international est privilégiée. A partir du 5 juillet, plusieurs appels téléphoniques parviennent au secrétariat d’Etat du Vatican. Une voix à l’autre bout du fil affirme qu’Emanuela Orlandi est entre les mains des « Loups gris », un groupe terroriste turc d'extrême droite. La jeune fille ne sera relâchée que si Mehmet Ali Agca, l’homme qui a tenté d’assassiné le pape, deux ans auparavant, est libéré. Au total, la famille d’Emanuela Orlandi recevra également seize appels. Le dernier sera passé le 27 octobre 1983. La piste d'Ali Agca est d'abord prise au sérieux par les enquêteurs, avant d'être définitivement écartée en 1997 par la justice italienne. Ali Agça, qui a été libéré en 2010, multiplie depuis les déclarations fracassantes. Dans sa dernière lettre, envoyée le 25 juillet 2019 à la presse internationale, il assure qu’Emanuela Orlandi est vivante et qu'il faut aller chercher sa trace dans les archives de la CIA. Les enquêteurs n’accordent aucun crédit à ces allégations.

Le 11 juin 2005, l’affaire connaît un premier rebondissement. Ce jour-là, est diffusé, dans l'émission télévisée « Chi l'ha visto » (NDLR : « Qui l'a vu ? »), l’enregistrement audio d’un appel anonyme parvenu à la rédaction : « pour trouver la solution à l’affaire Orlandi, allez voir qui est enterré dans la crypte de la basilique Saint-Apollinaire et creuser ». Cela suffit pour que l’enquête soit relancée. La police scientifique descend sur les lieux et découvre le corps d'Enrico de Pedis. L’homme a dirigé la redoutable bande de la Magliana et a semé la terreur à Rome, entre 1970 et 1980. Aucune trace, toutefois, d’Emanuela Orlandi aux côtés du malfrat. Comment un dangereux chef de gang peut-il se retrouver enseveli parmi des papes et des cardinaux ? La réponse à cette question se précise trois ans plus tard. En 2008, Sabrina Minardi, l'ex-maîtresse du criminel, livre une série de confessions. Elle affirme que le corps d’Emanuela Orlandi a été jeté dans une bétonnière, à Torvajanica. Elle pointe un responsable : le cardinal Paul Marcinkus. Le numéro 3 du Vatican jusqu'en 1984, président de l’Institut pour les Œuvres de Religion, la banque du Saint-Siège, aurait aidé la mafia à blanchir son argent en l'investissant dans les banques du Vatican. Inquiet que la vérité ne soit découverte, il aurait fait enlever Emanuela Orlandi par Enrico de Pedis dans le but d'effrayer de potentiels délateurs. En 2012, après avoir accompli toute une série de nouveaux devoirs d’enquêtes complémentaires, le juge d’instruction Giovanni Giorgianni clôturera cette piste.

A l’été 2018, l’avocate de la famille Orlandi reçoit un mystérieux message anonyme : « Cherchez à l'endroit où pointe l'ange ». Il s'accompagne de la photo d'une tombe, surmontée d'un ange sculpté qui pointe deux sépultures. Les autorités font le lien avec des tombes du cimetière teutonique du Vatican, situé à quelques mètres de la résidence Sainte-Marthe, où vit le pape François. Deux princesses allemandes, Sophie von Hohenlohe et Charlotte-Frédérique de Mecklembourg, sont censées y être inhumées. La famille Orlandi dépose alors une demande officielle auprès du Vatican pour faire ouvrir les sépultures. Un an plus tard, la requête est acceptée. Le 11 juillet 2019, les descendants des princesses, la famille d'Emanuela Orlandi, leurs avocats et un médecin légiste sont présents pour l'ouverture des sépultures. Mais, surprise, elles sont vides. Pas de trace d'Emanuela Orlandi, ni même des princesses. Les experts pensent que leurs restes ont été transférés dans les ossuaires, lors de travaux réalisés au Collège pontifical et au cimetière entre les années 1960 et 1970. Les ossements d’Emanuela Orlandi pourraient-ils s'y trouver aussi ? Cela paraît a priori impossible, dans la mesure où elle a disparu en 1983, soit treize ans après la fin des travaux.

Pour ne laisser planer aucun doute, le 20 juillet 2019, une centaine d'ossements sont extraits dans le sous-sol du collège pontifical. Le 28 juillet, Giovanni Arcudi, le médecin-légiste chargé de mener les analyses, déclare cependant qu’il n’a pas trouvé de structure osseuse remontant à une période postérieure à la fin du XIXe siècle. La famille Orlandi réclame, toutefois, des analyses approfondies sur quelque septante os que le professeur Arcudi n'a pas jugées utiles d’analyser, estimant que leur structure apparaissait très ancienne. Ces restes ont été répertoriés et pris en charge par la gendarmerie du Vatican, dans l'attente d'une décision du tribunal.

Lorsqu’Emanuela Orlandi n’a plus donné signe de vie, elle venait tout juste de terminer sa deuxième année d'études secondaires. Une semaine après sa disparition, 3000 affiches « Scomparsa » (NDLR : « disparue ») placardaient les murs des rues de Rome. Durant toutes les années d’enquête qui vont suivre, les supputations les plus folles vont s’additionner. Il y aura cet exorciste, le père Amorth, qui déclarera que la jeune fille serait tombée dans un réseau pédophile impliquant le Vatican. Il y aura ensuite Marco Fassoni Accetti, un photographe romain qui se rendra spontanément au bureau du procureur pour s’accuser lui-même de la disparition. Il y aura aussi Luigi Gastrini qui affirmera qu'Emanuela est détenue dans un hôpital psychiatrique à Londres. Il y aura enfin la piste des prêtres pédophiles à Boston et puis tous ceux qui prétendront avoir vu Emanuela Orlandi à Paris, en Turquie ou au Moyen-Orient. En 2017, un journaliste d'investigation italien rendra même public un document signé par un cardinal pouvant accréditer la thèse selon laquelle le Saint-Siège aurait dépensé des millions pour cacher la jeune fille dans des instituts religieux à Londres jusqu'en 1997. Le Vatican démentira. Pietro Orlandi, le frère d’Emanuela demeure, quant à lui, convaincu que la clé du mystère se cache dans le petit Etat et accuse le Saint-Siège d’omerta.

Le 22 juin 2023, le bureau du promoteur de justice de l'État de la Cité du Vatican, Alessandro Diddi indique dans un communiqué que « ces derniers mois, ce bureau a recueilli toutes les preuves disponibles dans les différentes institutions du Vatican et du Saint-Siège, tout en recherchant également des preuves par le biais de conversations avec les responsables de certains bureaux à l'époque des faits ». Les enquêteurs du Vatican ont procédé « à l'examen du matériel, confirmant certaines lignes d'enquête qui méritent d'être approfondies » . Les détails concernant les indices en question n’ont pas été donnés. Enfin une avancée ? « Ma sœur mérite la vérité et la justice », a réagi par voie de presse son frère Pietro Orlandi.