Dans un article publié le 21 septembre 2024 sur son site Web, la RTBF relaie les propos d’une diplômée en communication, Estelle, qui explique : ‘Que vous y consentiez ou non, que vous soyez antiraciste ou non, que vous soyez contre les discriminations raciales ou non ; en tant que personne blanche, vous bénéficiez de privilèges. On vous fait vivre l’expérience de la domination raciale.’ Dit autrement, tous les Blancs sont racistes, quoi qu’ils en aient et quels que soient leurs opinions, situations, goûts, préférences, actes et réalisations.
Terrible accusation ! Qui plus est, relayée par le service public ! Une accusation qui mérite des attendus. Les racines théoriques de ce réquisitoire plongent dans la Critical Race Theory. Selon ce courant théorique américain, usant d’un alphabet conceptuel à la fois foucaldien et marcuséen, le Blanc est raciste en tant qu’héritier et dépositaire d’une culture et d’une civilisation qui ont institué et instituent la race blanche en race supérieure, ravalant les «gens de couleur» aux échelons subalternes.
Le mythe de la blanchité
Ces nouveaux procureurs de la race soutiennent que l’accusation ne revêt aucun caractère raciste ni même racial. Le raisonnement est le suivant : historiquement, la culture occidentale considère le Blanc comme norme et référence. Cette hiérarchisation des races — au profit de la race blanche — imprègne le langage, les représentations littéraires, l’art et la manière d’être, de penser et de dire les choses. Ce racisme est profondément et irrémédiablement engrammé dans les particules élémentaires de la civilisation occidentale.
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De cela, découlent diverses conséquences. D’une part, il est impossible d’échapper à ce racisme de la blanchité (whiteness) dans le cadre culturel occidental — qui n’est finalement que l’institutionnalisation et la pérennisation du suprématisme blanc. D’autre part, le Blanc en sa qualité de blanc bénéficie encore et toujours de la survalorisation historique de la race blanche. Ce faisant, le Blanc — tous les Blancs sans exception sont racistes, en tant que survalorisés par la rémanence de la hiérarchie raciale qui fonde la civilisation occidentale.
Ainsi soutient-on que le « Blanc raciste », ce pléonasme, est visé en tant que dépositaire et bénéficiaire d’une culture et d’une civilisation — non dans sa race. Par ce détour historique et culturel, les procureurs néo-racistes prétendent se soustraire à l’accusation de racisme. Ce n’est pas le Blanc dans sa race qui est visé, expliquent-ils, c’est le dépositaire d’un héritage raciste dont il profite, même malgré lui. Ce détour culturel permet aux tenants du nouveau racisme de se répandre en diatribes contre «les Blancs», spectres blafards, tout en se récriant d’horreur dès que fuse l’accusation de racisme à leur encontre. Ce que ne manquera pas de faire la RTBF, en excipant du caractère « sociologique » — infortuné Max Weber ! — du concept de race dont use Estelle. « Je parle de la race au sens sociologique du terme. Bien sûr que nous sommes toutes et tous des êtres humains » précise Estelle. Merci, Estelle.
Le détour par la culture et l’histoire est ce qui autorise la radicalité du nouveau racisme. On n’aurait pas osé imputer à la race biologique le dixième des crimes et des tares que l’on impute à la race «sociale». L’accusation est réitérée à satiété : Tous les Blancs sont racistes. Tous ! Ainsi l’enfermement dans la race est-il total et renaissent les formes intégrales et primitives de l’essentialisme. Dans White Fragility, Robin DiAngelo endosse le caractère holistique de cette accusation : « Tous les blancs sont investis dans le racisme et sont de connivence avec lui. » (White Fragility, 117.) Ce qui signifie que, pâle tyran, vous êtes raciste même si vous professez l’anti-racisme, même si vous vous moquez de la race comme d’une guigne, même si vous êtes un «libéral de gauche» qui se hérisse à la moindre manifestation de racisme. « Que vous y consentiez ou non, que vous soyez antiraciste ou non, que vous soyez contre les discriminations raciales ou non ; en tant que personne blanche, cela ne change rien », selon Estelle sur le podium de la RTBF.
Tous racistes !
En réalité, explique DiAngelo, vous êtes raciste même si vous êtes marié(e) à une «personne de couleur,» que vos enfants sont « racisés » et que le racisme vous est aussi étranger que Pluton l’est au Soleil. Jamais l’idée de race ne vous traverse l’esprit ? Raciste inconscient ! Vous n’avez jamais commis aucun acte possiblement qualifiable de raciste ? Raciste systémique ! Telle est la fécondité magique de ce détour par la culture qui toujours vous ramène, pour mieux vous y river, à votre essence démoniaque.
Sur la foi de la nouvelle imputation raciste, nul Blanc, jamais, nulle part, ne peut ni ne pourra s’exonérer de sa culpabilité essentialiste, collective et historique. Tous coupables, irrémédiablement et de façon définitive, dans l’attente donc d’un juste châtiment !
L’Albinos diabolique est coupable — non seulement responsable, mais coupable — des crimes commis par les membres de sa race (biologique ou « sociologique « , peu importe : dans les deux cas, on n’y échappe pas). De même que la responsabilité collective par la race, selon les théoriciens nationaux-socialistes allemands, ne tenait que pour les Juifs, la culpabilité collective, selon la gauche contemporaine, ne vaut que pour les Blancs. L’homme blanc est comptable des crimes de tous les Blancs — sans rémission, car on ne s’évade pas du pénitencier épidermique. Tous les Blancs sont racistes — Tous, ici et maintenant : on ne se dérobe pas à la culpabilité collective selon l’accorte théorie relayée par le « service public ».
L’homme blanc est non seulement coupable des crimes commis par les membres de sa caste honnie, encore cette responsabilité porte-t-elle à travers les âges. Quand les membres de son groupe racial ne commettraient aucun crime, cela ne changerait rien, car on lui imputerait des crimes séculaires.
Essentialisme, responsabilité collective, responsabilité historique : telles sont les nouvelles gardiennes, farouches et intraitables, du bagne par la race.
Fait intéressant, ce sont les mêmes sœurs qui, selon Jean-Paul Sartre, souriaient au berceau de l’antisémitisme. Sartre montre dans ses Réflexions sur la question juive que la haine des Juifs suppose l’essentialisme (on n’échappe pas à sa judéité), la responsabilité collective : le Juif est coupable des crimes de tous les Juifs; enfin la responsabilité historique : le Juif est comptable des crimes commis par les Juifs à travers les âges, au premier rang desquels, bien entendu, la mort du Christ. (Sartre, Réflexions sur la question juive, idées NRF, 82.)
«J’avais le fantasme de décharger un revolver dans la tête de n’importe quel Blanc qui se mettait en travers de mon chemin, d’enterrer son corps et d’essuyer mes mains ensanglantées tout en m’éloignant sans culpabilité excessive, le pas léger. Comme si j’avais fait une putain de faveur au monde.» Dr. Aruna Khilanani, lors d’une conférence sur la « blanchité » à l’université de Yale, en 2021.