L’historien belge germanophone David Engels, professeur dans différentes universités européennes et auteur de plusieurs essais dont le remarquable Le Déclin. La crise de l’Union européenne et la chute de la République romaine. Quelques analogies, s’inspirant de la pensée de l’histoire d’Oswald Spengler et d’Arnold Toynbee et comparant des aspects de la crise actuelle de l’UE aux symptômes de la fin de la République romaine dont s’ensuivit l’avènement de l’Empire (ce livre fit l’objet d’une recension ici même), s’interroge dans son Petit traité d’hespérialisme, son dernier ouvrage, sur le moyen sinon de sauver (car toute civilisation a une fin, c’est l’idée de Spengler et de Toynbee), du moins de Défendre l’Europe civilisationnelle (son titre).

Ce petit traité n’est certes pas à mettre entre toutes les mains. Certains esprits très progressistes, qui voient le progrès dans le changement et non le changement dans le progrès, pourraient s’offusquer de quelques-unes de ses recettes d’hespérialisme, un mot tiré du grec ancien Ἓσπερος (Hèsperos, du soir, vespéral), au travers duquel David Engels appelle à un retour à l’histoire longue de l’Europe, sa spiritualité et ses traditions, une forme de patriotisme qu’il oppose à l’européisme tel que le promeut l’Union européenne (sur la base de l’universalisme des droits de l’homme, en les instrumentalisant au profit de la gauche politique), mais qu’il oppose aussi au souverainisme des Etats-nations.

Il ne s’agit pas de retourner au passé et de faire abstraction du présent, mais d’élargir l’horizon d’une défense de la nation à celle de notre civilisation et de son esprit faustien à l’origine de son élan vers l’infini. Soyons clair, pour Engels l’Union européenne et les idéologies qui la hantent sont devenues les pires ennemies de la véritable identité européenne. « Les mêmes qui critiquent si souvent notre passé historique pour son eurocentrisme, écrit-il, font état d’un nombrilisme encore pire dans la mesure où ils préfèrent ignorer que [leurs] valeurs européennes [universalistes, censées s’appliquer sur l’entièreté du globe], même dans leur rejet de la transcendance, restent invariablement ancrées dans une hubris typiquement européenne. »

Qu’en est-il d’ailleurs de la démocratie ? Bien sûr, Grecs et Romains savaient déjà que l’excellence d’un gouvernement dépendait de la qualité morale de ceux qui y prenaient part plutôt que de la lettre de sa constitution et Rousseau avait averti que la démocratie dégénérerait en ochlocratie (c.-à-d. le gouvernement par la foule et non par le peuple). N’est-elle pas aussi désormais menacée dans ses fondements par le pouvoir disproportionné exercé par les médias et les toutes grandes entreprises ? Ce sont les médias les réels faiseurs d’opinion, observe Engels, Tocqueville le pressentait, et ceux-là ne tolèrent guère la diversité d’opinion. La Belgique francophone n’en a-t-elle pas fourni un exemple frappant lors des dernières élections ?

Ne confondons pas aisance matérielle et épanouissement spirituel. Or, estime-t-il, les trois courants politiques prédominants d’aujourd’hui, le socialisme, le libéralisme et l’écologisme, sont fondés sur une prémisse matérialiste : le premier avec au centre un collectif dépersonnalisé, le deuxième avec l’individu dans un égoïsme possessif, le troisième avec la nature dans une idéalisation extrahumaine. Engels voit dans le premier cas un totalitarisme collectiviste, dans le deuxième un turbocapitalisme, dans le troisième une dictature climatique se profilant à l’horizon, rien de bien en phase avec l’esprit faustien européen, sauf à y repenser le deuxième qui laisse la part belle à l’initiative et à l’entreprise, pour autant que l’on n’assimile pas abusivement le capitalisme à celui des copains et des coquins.

Ce n’est pas le propos d’Engels. Ce qu’il vise, c’est ce qu’il nomme le socialisme des milliardaires, une forme de gouvernance économique de crypto-planistes qui agissent à coups de green deal et de great reset et manipulent les masses via les algorithmes, les experts et les médias, des masses auxquelles il échappe que leurs sacrifices personnels ne servent qu’à alimenter les caisses des big-tech, big-data, big-pharma et big-finance. Quant à l’écologisme, une idéologie qui, selon Engels, « prône une nature sans hommes et un homme sans nature », qu’est-il sinon au mieux un égarement dystopique, au pire une pulsion génocidaire ?

Défendre l’Europe civilisationnelle, Petit traité hespérialiste, David Engels, 158 pages, Salvator.