Fruit de la seconde guerre mondiale, la République naît dans le sang et le chant. 

Les frontières actuelles de la République Démocratique du Congo ont été tracées lors de la Conférence de Berlin à l’initiative de Léopold II, Roi des Belges, devenu ensuite Roi de l’État Indépendant du Congo, le 1er juillet 1885. 

C’est à cette date, et non le 30 juin 1960, qu’est né l’État congolais internationalement reconnu. En d’autres termes, c’est depuis ce jour-là qu’au-delà de l’ancien Royaume Kongo, le pays a des composantes étendues à d’autres royaumes locaux. Un tout nouveau territoire. Une réorganisation de la hiérarchie des chefs coutumiers : Stanley rapporte qu’il a eu à conclure plus de quatre cents traités avec eux ; les unifiant sous l’autorité du nouveau monarque. Une langue de plus, le français, lui ouvrant le monde. Le 30 juin 1960 n’est pas constitutif du pays : c’est seulement le jour d’une indépendance déclarée, rarement assumée, dont l’essor tarde encore, soixante-quatre ans plus tard ; bref, un événement insignifiant en termes de bilan historique. Il y aurait davantage de sens à commémorer le 1er juillet 1885 que le 30 juin 1960. 

La République Démocratique du Congo est indubitablement l’héritière de l’État Indépendant du Congo, avant le Congo belge. De la classe politique des années soixante, autoproclamée décolonisatrice, de quoi la République a-t-elle hérité, somme toute ? Essentiellement, la destruction des infrastructures : hôpitaux, routes, ponts, etc. L’on songe au sarcasme de Léonard de Vinci au sujet de ses contemporains : « Ils ne mettent en pratique aucune vertu, et il ne reste d’eux que des latrines pleines ». Quel est l’apport d’une décolonisation qui, in fine, a asservi les Congolais jusqu’au vingt-et-unième siècle en liant leur misère aux diktats des marchés et à la prédation de parvenus qui hantent les rouages de l’État ou de ce qui en tient lieu ? Ces prédateurs ont bénéficié des circonstances : à l’issue de la seconde guerre mondiale, l’Europe avait sa propre reconstruction pour priorité et le plan Marshall pour cadre. Le travail de sape américain visait les puissances coloniales. Washington s’est graduellement substitué aux chancelleries européennes. Aujourd’hui, la Chine tente d’y supplanter les États-Unis. Sempiternelle logique humaine d’extension qui n’est ni spécifiquement européenne, américaine ou chinoise. Remontons à la préhistoire, c’est d’Afrique que provenaient les hommes qui ont peuplé l’Europe. Un atavisme lointain.

L’on ne refera pas l’Histoire et nul ne sait si les sociétés inégalitaires coloniales auraient évolué, au fil du temps, en instaurant pacifiquement des rapports plus harmonieux. Il est probable que oui, car l’Occident est la seule civilisation qui a renoncé à l’esclavage et l’a aboli ultérieurement, notamment au Congo. Et la repentance, poussée à son paroxysme jusqu’au stupide déni de soi, démontre à suffisance que des élites congolaises auraient pu se former et contribuer à l’essor du pays plutôt que le détruire. Tout s’équilibre à l’épreuve du temps. D’ailleurs, de nombreux États résultent de conquêtes ayant généré un sens national commun. Il est trop tard de toute façon, car la page est tournée. Mais, sans refaire l’Histoire, ni rêver le Congo à la place des Congolais, il n’est pas interdit d’en tirer les enseignements. 

Rappelons-nous que « les événements », comme l’on disait à l’époque, quoique sanglants et souvent dramatiques, ont fini en musique et en danse. Le Peuple congolais est doué d’une résilience extraordinaire. « Indépendance, cha-cha » est devenu le premier tube panafricain dans le contexte général de décolonisation africaine, et surtout l’hymne de l’espoir des Congolais : « Oh Table ronde cha-cha nous avons gagné. Indépendance cha-cha, te voilà enfin entre nos mains ». Son auteur, Joseph Kabasele, alias Grand Kalle, disait vrai : c’était dorénavant entre les mains des Congolais… pour le meilleur et pour le pire. Depuis le 1er juillet 1885, le Congo est le géant du continent, et il se qualifie lui-même aujourd’hui de « pays solution » pour le monde entier. Toutefois, il ne maîtrise pas ses frontières et son développement est une œuvre titanesque, fréquemment entravée. Les plus entreprenants y réussissent. Ainsi va le monde, l’avenir sourit aux audacieux. Tôt ou tard, ce sont eux qui développeront ce pays extraordinaire à plus d’un titre, pas les donneurs de leçon. Que Dieu les préserve des niaiseries des Bisounours et des divagations des petits hommes gris que génèrent les technocraties.