Aaah, Fidias Panayiotou, ce génie moderne qui a décidé de révolutionner notre brillante politique européenne... depuis sa chaîne YouTube ! Pourquoi perdre son temps (et notre argent !) avec des débats interminables au Parlement ou des rapports administratifs ennuyeux traduits en 24 langues, quand on peut accumuler des abonnés (et des voix) en racontant sa vie sur les réseaux sociaux ? Entre deux défis absurdes et une petite dose de populisme bien calibrée, ce nouvel eurodéputé « Youtoubeur » nous rappelle que, vraiment, le monde politique se fout de notre gueule ! La participation citoyenne s’adapte médiocrement aux habitudes de consommation numérique : les influenceurs sont-ils les nouvelles lumières de la démocratie au détriment des partis traditionnels ?
Faut-il encore défendre un programme pour cartonner en politique ? Une nouvelle vague de candidats aux postes bouleverse les codes établis en cultivant d’abord la notoriété. Cette approche impacte l’évolution de nos démocraties et la façon dont les électeurs, en particulier les jeunes, forment leurs opinions politiques et, surtout, la manière dont ils souhaitent qu’elles soient défendues. Ils ont désormais leur premier représentant à l’UE : Fidias Panayiotou, l’eurodéputé Youtubeur.
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De l’influence à l’engagement politique
A chaque mandature, le Parlement européen voit arriver son lot d’élus hauts en couleur, provocateurs ou volontairement hors cadre. Si Fidias Panayiotou fait définitivement partie de ceux-là, il inaugure aussi une catégorie encore jamais représentée dans l’hémicycle. Connu pour ses vidéos virales sur YouTube, Instagram et TikTok cumulant plus de 2,6 millions d’abonnés, l’influenceur de 24 ans à peine - qui n’a jamais voté de sa vie ! - devient le premier eurodéputé Youtubeur. Sans programme, sans expérience ni affiliation à un parti, il fait campagne sur les réseaux sociaux pour motiver les jeunes à s’impliquer en politique. Résultat : il recueille 19,4% des voix (78.000 votes) lors des élections européennes de 2024 à Chypre, se classant derrière les deux plus grands partis chypriotes (le parti conservateur DISY a obtenu 24,8%, suivi du parti communiste AKEL avec 21,5%). Dans l’île-nation, le taux de participation lors des élections européennes de 2019 s’élevait à 45%. Cette fois, il s’est établi à 58,86 %. Panayiotou obtient 40% des voix des 18-24 ans et 28% des voix des 25-34 ans. Un record que les observateurs politiques attribuent à « l’effet Fidias ».
Community management et vox populi
La rhétorique est apolitique. Le Chypriote entend utiliser son siège pour porter les opinions de ses followers, conformément à sa vision de la représentation. « Tout au long de l’histoire de la démocratie représentative, les personnes qui se présentaient aux élections étaient généralement celles qui avaient accès aux médias traditionnels de leur époque, tout en étant coupés du citoyen. Aujourd’hui, pour la première fois de notre évolution, tout le monde a le pouvoir de s’exprimer, de convaincre de ses idées et peut devenir un homme politique en utilisant uniquement son téléphone. Je l’ai prouvé avec ma candidature. Nous sommes en train d’écrire un nouveau chapitre, pas seulement à Chypre, mais dans le monde entier. Les partis traditionnels devraient le prendre comme un avertissement qu’ils doivent se moderniser et écouter le peuple », a-t-il déclaré lors de son élection. Quelles couleurs défend-il ? Aucune ! Panayiotou siège comme indépendant. Il veut être les yeux, les oreilles et le porte-voix de ses followers qu’il interroge avant toute prise de position. Sa méthode s’est d’ailleurs appliquée à une décision très importante : la présidence de la Commission européenne. Sur la base d’un sondage (300.000 répondants) qu’il a lancé sur ses réseaux, 75% d’entre eux lui ont conseillé de voter contre Ursula von der Leyen, ce qu’il a fait.
Pour une expression absolue
Le Youtubeur entend « ouvrir la boîte noire des institutions européennes » qu’il accuse d’opacité, mais aussi de vouloir étouffer la production de contenus en ligne, afin de faire taire les voix dissonantes sous le fallacieux prétexte de la désinformation (celle qui ne va pas dans le sens de l’UE). L’eurodéputé peut compter sur le soutien d’Elon Musk, qui l’aurait même préféré, dans un tweet récent, à von der Leyen à la tête de la Commission européenne (LOL). Et en termes de liberté de ton, Musk sait de quoi il parle ! Pour rappel, depuis qu’il a racheté Twitter en 2022 (rebaptisé X), il s’évertue à faire en sorte que la plateforme soit LE bastion de la liberté d’expression. Ce faisant, il a rétabli les comptes précédemment suspendus de nombreux influenceurs. « Notre mission chez X est de promouvoir et de protéger la conversation publique. Nous pensons que les utilisateurs de X ont le droit d’exprimer leurs opinions et leurs idées sans craindre la censure », peut-on lire dans les directives de transparence de X.
Des censeurs « has been »
« Faiseurs d’opinions » (la leur exclusivement), ils sont pourtant nombreux à vouloir quitter le navire de la liberté d’expression depuis la victoire de Donald Trump - lui aussi réintégré sur X - aux dernières élections américaines. Même la Fédération européenne des journalistes (FEJ), la plus grande organisation de journalistes au monde (représentant plus de 295.000 professionnels en Europe), annonce qu’elle va cesser de publier du contenu sur le réseau social à partir du 20 janvier 2025, date de l’investiture de Trump. Une ineptie sans nom dans le chef d’une presse dite « libre » (quod non !).
À chaque fois, pourtant, ces mouvements de foule sont de courte durée car nourris par des alternatives - points de chute d’une pensée unique resserrée - qui n’ont jamais fonctionné, que ce soit le réseau social Mastodon (15 millions d’utilisateurs) ou BlueSky (21 millions d’utilisateurs). Si ces gauchistes censeurs « has been » ont fait le choix de porter leur discours uniquement dans un cercle restreint de personnes d’accord avec leurs postulats, au niveau mondial, la sentence est irrévocable : X compte 619 millions d’utilisateurs actifs en 2024. Tout est dit !
Une ère politique nouvelle
Après avoir traversé le pont de la liberté d’expression, il semble apparemment plus que difficile de le détruire. Alors, vivement cette étiquette bas du front prétendument de l’extrême qui colle aux plateformes lorsqu’elles ne sont pas (cons)formes, véritables espaces de délibération « open sources » qui redéfinissent le rôle contemporain du citoyen dans le processus démocratique, à l’heure où l’abstention est, ne l’oublions pas, le premier parti en Europe. Et ça, malgré toute son absence d’expérience politique, Fidias Panayiotou l’a très bien compris, ce qui en fait, à tout le moins un expert d’un genre nouveau !